📁 L'affaire Desprelz - Varin (1641)
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Anno 1641
Recit veritable de la mort du fut sieur Jean Varin, tiré non seulement de la propre bouche et declaration qu’en a faict Jean-Baptiste Desprez, d’Ellay en Ferrette[i], estaffier de Monseigneur l’illustrissime et reverendissime archevesque de Besançon, arresté et detenu en prison, en l’Hostel consistorial, par emprunst des prisons de la Cour de Mayrie de Besançon, au faict de l’homicide que l’on pretend avoir esté commis par ledit Desprez à la personne dudit fut sieur Varin, mais encore des tesmoins ayantz esté presents et veu comme le tout sur ce se seroit passé.
Avant que de venir au poinct principal de cette affaire, il semble estre a propos de premettre [sic] qu’a mondit seigneur l’illustrissime et reverendissime archevesque de Besançon, compete et appartient de temps immemorial, ainsi qu’a ses predecesseurs, seigneurs archevesques, a competé sans difficulté, le droict de lever et percepvoir le disme, qu’est une certaine quothe et portion de dix l’une des fruicts de vigne, d’une grande partie de celles situées riere le territoire et vignoble dudit Besançon, et particulierement de celles estants en une monticule size au-dela de la riviere du Doubs et du costé du village de Bregilles.
Pour la collection et perception desquelz dismes, a esté, de temps aussi immemorial, observé et praticqué, que le premier jour de l’ouverture des vendanges, publiées en ladite cité de Besançon, sadite seigneurie illustrissime fasse establir en certains lieux désignez de toute ancienneté par les sieurs ses reverends vicaires general, official, juge de sa cour de Regalie et aultres ses officiers et commis, pour percepvoir ledit disme de chaque cheriot ou tonneau de vendange qui passent, provenants des vignes, chargées et affectées de telle prestation.
A l’effect de quoy, y a un greffier extraordinaire et estably, tenant les registres pour voir et reconnoistre celles qui en sont affectées, et deux ou troiz aultres personnes telles que bon semble à ladite Seigneurie illustrissime pour de sa part et par l’establissement de la justice et de sesdits officiers, relever et percepvoir les dismes comme dessus, lesquelz se prennent selon la contenance et à proportion de la grandeur du tonneau, au feur de dix l’un comme l’on a prevut, avec certains instruments de cuyvre pour ce ordinaire, de la contenance d’environ une channe[ii], qui se met dans le tonneau par l’embouchure d’icelluy.
En suytte de quoy ledit seigneur illustrissime ayant les vendanges dernieres de la presente annee 1641 faict establir par lesdits sieurs ses officiers, les commis es lieux accoustumez communement appellez « pas », du mot de passage, pour la perception des dismes avantdites, maistre Anthoine Huguenot[iii], notaire et greffier des pas predits, tenant les actes, registres, tiltres, payemens et recounoissances concernants telz dismes dehus à mondit seigneur l’illustrissime, auroit esté commis et deputé en qualité de greffier que dessus avec Bon Laviron[iv] de Bregilles, dismeur tenant les coupes et ledit Jean Baptiste Desprez, estaffier susdit de sadite seigneurie illustrissime pour tenir les seaux, où se vuide le moust ou la vendange qui se tire des tonneaux susdits, à l’un desdits lieux et pas designéz, où l’on a coustume de recepvoir et percepvoir les dismes avantdites, scavoir en celluy qui est à l’entree dudit village de Bregilles.
Ce que dessus premis estant veritable et qui ne peut estre revoqué en doubte par qui que se soit, il est certain que ledit Huguenot, greffier, tanquam notarius, seu judex cartularius, ensemble desdits Bon Laviron et Jean Baptiste Desprez, illec estably par la justice tant spirituelle que temporelle de mondit seigneur, specialement par le sieur son reverend vicaire general, seul juge competant, suyvant le traicté de Rouhan[v], des causes et difficultéz mehues et à mouvoir sur les dismes susdites, n’ont peut ny deubt estre attaquéz ny offencez par qui que se soit, soit par effect, soit de paroles, comme estants en lieu de justice et representée à leurs personnes, commises par icelle à chose juste et licite sans quesmement offencer ladite justice et la violer.
Ce neantmoins seroit arrivé que le vingtdeuxieme jour du mois d’octobre de l’an courant 1641, environ heure d’une apres midy dudit jour, ledit fut sieur Jean Varin, amenant quant à soy, ou suyvant un cheriot de vendange de la contenance d’environ unze ou douze costes, qui provenoit d’une vigne size en Fusigney, territoire dudit Bregilles, chargee et affectee de dismes envers sadite seigneurie illustrissime, comme il fut reconnu par les actes desdits registres et selon mesme que ledit fut sieur Varin ne l’ignoroit pas, ainsi qu’il se pourra remarquer cy-apres, arrivé qu’il fut au pas et lieu susdits, où l’on a coustume de prendre le disme à l’entree dudit village de Bregilles, le cheriot qu’il suyvoit fut arresté jusques à ce qu’il ayt payé le disme susdite, quoyqu’il se pourtasse pour refusant.
De quoy indigné, ledit fut sieur Varin, et entrant en colere, dict audit Jean Baptiste Desprez, qu’il disme donc ledit cheriot. Et par effect, ledit Bon Laviron estant monté sur icelluy, à grande peine avoit-il tiré du tonneau avantdit trois ou quatre coupote ou plus (que n’estoit pas la sixieme partie de ce qu’estoit dehu pour le disme à sadite seigneurie illustrissime), que ledit sieur Varin, homme assez prompt et soudain de colere, rembourré dans son manteau, d’abbort injuriant ledit Jean Baptiste Desprez de sot et Jean [mot caviardé] ayant le seau sur sa teste, où l’on vuidoit la vendange, que l’on tiroit dudit tonneau, proche ledit cheriot, menaceat de le tuer et à l’instant, courant sur luy avec divers jurements, le frappa du pied et de la main si violemment que le
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seau qu’il avoit sur sa teste fut renversé à terre et le moust qui y avoit esté versé perdu et espanché. Voires de ce non content, le poursuyvit jusques à l’entree et sur la porte de la maison de Pierre Trigalet[vi] dudit lieu de Bregilles, voisine et au devant du pas et lieu, où se payoit le disme avantdite, nonobstant encore que ledit Desprez se seroit mis soubz la protection et sauvegarde de Sa Majesté imperiale.
Ledit Jean Baptiste Desprez se voyant donc ainsi poursuyvy et craignant d’estre encor plus mal traicté par ledit fut sieur Jean Varin - homme agile et dans l’eage viril, au lieu que ledit Desprez est un homme eagé seulement d’environ vingt ans -, pour l’eviter print ce qui luy vint au rencontre et, par adventure, ayant treuvé une harquebuse en ladite maison, chargée seulement de fort menue dragee entremeslee de quelques postes[vii], comme de deux ou trois, dois les jours precedents qu’il avoit desseigné d’aller à la chasse du lievre sur les soirs desdits jours precedents, attendu qu’il couchoit audit Bregilles, croyant que n’estant chargee de basles, elle n’offerceroit jusques à la mort, pensant contenir la furie dudit Varin qui le poursuyvoit de la sorte que dessus desticla et delascha contre luy ladite harquebuse, sans neantmoins la mettre en jous et sans intention de le tuer, ains seulement repousser et contenir ses menaces et sa colere.
Mais le malheur auroit voulu que le coup ayant porté au dessus du bras gauche dudit sieur Varin, il seroit à raison de tel coup decedé ledit jour.
En quoy le tout bien pesé et consideré, se void evidemment le tort dudit fut sieur Jean Varin et que luy mesme s’est procuré la mort.
Premierement, en ce qu’il se seroit porté refusant, du moins auroit empesché le payement du disme par luy dehu et, qu’au lieu d’une dixieme partie, n’en vouloit pas seulement payer la cinquantieme.
Secondement, à raison de ce qu’il a esté aggresseur et a offencé le premier de paroles, menaces et p[ar] effect ledit Jean Baptiste Desprez, commis à la recepte desdites dismes, habillé et revestu de la livrée de s[a] Seigneurie illustrissime et lequel partant, il counoissoit tres bien.
Tiercement, à cause qu’il estoit au lieu de justice et qu’il l’auroit battu et oultragé, jaçoit il auroit esté estably et posé par icelle à telle collection de dismes.
Quartement, par ce que la protection et sauvegarde de Sadite Majesté imperiale, implorée par ledit Jean Baptiste Desprez, debvoit arrester le cours de la furie et colere dudit fut sieur Jean Varin, sans le poursuyv[re] jusques dans la maison susdite de Pierre Trigalet, destinee pour les dismes susdites, qui luy debvoit servir d’azille, comme maison dependant en quelque façon de sadite Seigneurie illustrissime.
Item prenant esgard que ledit Jean Baptiste, lors qu’il a esté ainsi offencé par ledit fut sieur Varin, n’avoit aucunes armes sur soy, tenoit le seau et vacquoit à son debvoir et à chose juste et licite à luy commandée.
Plus que l’harquebuse n’avoit esté chargee à dessein d’en offencer personne, puisqu’elle n’estoit chargee que de postes et dragee et que de tel coup entre cent n’y en auroit un mortel.
Finablement, si l’on regarde l’intention dudit Desprez, qui ne meit seulement l’arquebuse en joue ains seulement pour arrester la poursuytte dudit deffunct, luy presenta ladite harquebuse, qui en mesme temps prins feu. Laquelle encore d’aillieurs, se collige par ce que ledit Desprez croyoit n’avoir offencé ledit fut sieur Varin. D’autant il ne se seroit sauvé, ce que neantmoins, il pouvoit faire à cause que ledit lieu de Bregilles n’est fermé de murailles, ny de portes, fort peu esloigné des bois et au pied d’une monticule, que facilement il pouvoit grimper pour se rendre à couvert de la saisie. En laquelle saisie il auroit esté extraordinairement malmené.
Car il est vray qu’il fut apprehendé audit lieu de Bregilles, dependant de la totale jurisdiction de sadite Seigneurie illustrissime, exclusivement à toutes aultres, dois la mené avec sa livree en la Maison de Ville, les mains liees derrier le dos. Et arrivé qu’il fut à la porte de Baptand, François Bouvot[viii], secretaire de ladite cité, le suyvant à cheval, pour esmouvoir le peuple à l’accabler de pierres et violences extraordinaires, crioit tout hault « Voicy, voicy le meurtrier. Messieurs, il nous le faut assomer par faict de communauté !».
Bref, les uns des gouverneurs, animez et passionnez à oultrance contre sadite Seigneurie illustrissime et en hainne de luy, crioit haultement, qu’il falloit le lendemain aller pendre ledit Desprez devant son palais. Les aultres, taschant de soulever la populace, crioient aux armes et qu’il faillot [sic] aller esgorger et sadite Seigneurie illustrissime et tous les prestres et ecclesiastiques de ladite cité.
D’aultres officiers desdits sieurs gouverneurs, rencontrant de ceux de mondit Seigneur, les menaçoi[ent] de mort et de pillage.
Bref, la suytte de cette passion, c’est portee jusques à la, que ledit pauvre Desprez prisonnier fut à l’instant entendu en responces par deux commis du corps desdits gouverneurs, scavoir par les sieurs Bouvot et Guibourg[ix] ; le mesme jour à la chandelle, rendu à la Mayrie es prisons d’un juge cousin et du mesme nom que ledit deffunct[x], retenu neantmoins en celles de la maison de Vil[le], deffence à qui que ce soit de parler à luy ; le post lendemain son recourt faict et le vingt sixie[me] dudit mois d’octobre, qu’estoit le jour ensuyvant, sans observer formalité de justice et des
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dilays ordinaires, appoincté à donner des charges deculpué et contredit et les justifier dans quatre jours lors prochain, qui ne suffisoient pas seulement pour se dehuement informer du prisonnier, nonobstant qu’il auroit demandé son declinatoire par devant son maistre, mondit seigneur, en vertus des immunitez accordées aux seigneurs prelats evesques et leurs serviteurs domestiques, qui gaudent privilegio fori, et de l’appel qu’il auroit emis à Sa Majesté du refus qui luy en auroit esté faict. Se voyant ainsi precipité, non point pour son subject, veu qu’il y en a d’aultres, qui ont croupy deux et trois ans es prisons, accusez de l’assassin du conte Foucus[xi] ; aultres qui y sont du mesme temps pour des crimes bien plus enormes. Mais in odium de sadite Seigneurie illustrissime, ayant emis appel dudit refus de declinatoire, l’on n’auroit laissé de passer oultre et luy arcter le temps de la sorte contre leur ordinaire en pareil cas, voires encore nonobstant que sadite Seigneurie illustrissime l’auroit faict repeter et l’appel aussi de sa part emis sur le refus que pareillement leur auroit esté faict de le rendre.
Tellement que de tout ce que dessus, l’on peut colliger combien sont mesprises les imploration de garde de Sadite sacrée Majesté imperiale, le peut de compte que font lesdits gouverneurs des decrets d’icelle et des appel que l’on emet à son Conseil aulique. Enfin, comme sadite illustrissime et tous ses pauvres officiers sont opprimez et accablez, n’y ayant que le fer et le feu pour eux, au lieu que les fratricides sont soufferts et tolerez, tous les aultres crimes supportez et eux seuls, dans une juste deffence, criminalisez extraordinairement et persecutez. Car l’on peut dire que si ledit Desprez est puniz de mort comme je vois qu’il sera, se promptement sa Majesté n’y pourvoye par sa clemence ordinaire, ou du moins, si, par lecture, il n’evoque la cause à soy ou à son conseil, surçoyant la poursuytte, c’est de quoy les sieurs Thiebaud Chappuis[xii] et maistre Simon Perrin[xiii], advocat et procureur dudit miserable prisonnier, supplient instamment à l’intervention de sadite Seigneurie illustrissime.
[Autre écriture]
La merveille arrivée en suyte de ce que dessus
Les gouverneurs irritez de la mort du President des Vingthuit[xiv], Jean Varin, condamnerent, peu de jours apres au gibet ledit Jean Baptiste Desprez ; et pour ce sujet dressée une potence, au lieu où il avoit donné le coup. Or ainsi qu’on le conduisoit à la mort, en passant devant l’eglise des Carmes, il reclama devotement Nostre Dame, dont l’image fait des miracles en ladite eglise, pendant que le bon archevesque estoit en de ferventes prieres qu’il faisoit à Dieu, afin qu’il luy pleust manifester, si son procedé contre les gouverneurs de Besançon pour la conservation des droits, authoritez et biens de son archevesché, luy estoit aggreable. Le succes fut que, le patient ayant esté pendu et secoüé d’importance par le bourreau pour l’estrangler jusques à ce qu’il fut tenu pour mort, apres avoir demeuré deux heures au gibet, lors qu’on le voulut par apres ensevelir pour le mettre en terre, il tesmoigna de quelque peu de respiration, qui fut cause qu’on le porta vers le feu et luy donna t’on quelques eauës cordiales, si avant qu’il commença d’ouvrir les yeux et successivement de se mouvoir, de monstrer qu’il entendoit bien, de boire et de manger, ne luy manquant que la parole. Tout cela se fit dans l’eglise de Bregilles, où il fut porté et gardé par les officiers, quasi deux fois vingt quatre heures, crainte qu’on ne le pendist derechef. Cependant, les gouverneurs consulterent les medecins si cela se pouvoit faire naturellement ; lesquels ayans respondu qu’ouy et les chanoines au Chapitre metropolitain faisans d’ailleurs instanse pour sa grace, ils l’obtindrent et seulement il fut condamné à un bannissement perpetuel. En suyte de quoy, il fut porté à Beure[xv], village voisin, sitüé sur la Comté de Bourgongne : d’où, apres deux ou trois jours, il s’en alla à Nostre Dame de Lorette[xvi] rendre son vœu. Par lettres escrites de Gray et de Besançon le 19 novembre 1641.
Notes
[i] Confédération suisse.- Elay (en allemand Seehof), commune du canton de Berne.
[ii] Une channe est une unité de mesure de liquide (ici le vin), valant 1/128e d’un muids (un muids contient à Besançon 272,41 litres), soit environ 2,1 litres.
[iii] Personnage non identifié.
[iv] Bon LAVIRON, fils de Nicolas LAVIRON, est signalé décédé le 11 février 1690, et inhumé dans le cimetière de Saint-Martin de Bregille.
[v] Traité dit de Rouen, délimitant les droits réciproques du clergé et de la commune de Besançon (10 juin 1435).
[vi] Pierre TRIGALET, citoyen de Besançon, mais demeurant à Bregille, teste en 1658 (France.- Bibliothèque municipale de Besançon : Ms. 1296-15).
[vii] Sans doute une arquebuse à canon lisse, destinée à la chasse, chargée avec de la grenaille.
[viii] François BOUVOT, secrétaire d’Etat de la cité impériale de Besançon (1638-1653).
[ix] Jean-Denis GUYBOURG, alors gouverneur de la bannière d’Arènes.
[x] Thomas VARIN, institué le 6 juillet 1634 juge en la Cour de Mairie.
[xi] Référence non identifiée.
[xii] Thiébaud CHAPUIS, docteur ès droits, est signalé décédé le 13 janvier 1666, et inhumé dans l’église paroissiale de Saint-Pierre de Besançon (France.- Archives municipales de Besançon : GG270).
[xiii] Simon PERRIN, est signalé décédé le 18 janvier 1675, et inhumé en l’église de Saint-Donat de Besançon (France.- Archives municipales de Besançon : GG271).
[xiv] Jean VARIN a été élu Président des Vingt-Huit en 1637 uniquement.
[xv] France.- Beure, commune de Bourgogne-Franche Comté.
[xvi] Santa Casa, lieu de pèlerinage catholique. Italie.- Lorette, commune de la province d’Ancône (région des Marches).