• Datation du document présenté: Vers 1459
  • Tradition: France - bibliothèque municipale de Besançon
    Copie en français
    Manuscrit 1371
    Vélin.- Reliure en carton (13 cahiers de 8 feuilles reliés par 6 cordelettes tressées).- 275 mm x 210 mm.- 101 feuillets.- Vers 1459
  • Abstract: Troisième Traité - "Des bruvaiges"

📜 Le Régime de Santé par Guy Parat (vers 1459)

 


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Des bruvaiges.

 

Puis que l’en a asses particulierement traicté de la viande, reste a present parler du bruvaige. Et devons savoir que, en tant qu’il appartient a notre propos, ilz sont trois manieres de bruvaige qui est vraye et pure medecine. Et aucun n’est seulement que bruvaige. Item aussy, il en est qui est medecine et bruvaige ensemble. Celui bruvaige, qui est pure medecine, est sirop servant a digerer les humeurs ou sirop laschant le ventre ou ypocras ou clare, fait fait [sic] de gros vin et espices, duquel l’en doit user en fin de table pour conforter la vertu digestive de l’estomac. Item bruvaige, qui est medecine et bruvaige ensemble, est julep de roses, de violetes et de nenufar, qui est une herbe a fleurs blanches croissant es vivieres, et s’appelle des enfans piez de cheval. Et se julep se fait d’eaue avec les choses dessusd. et se baille en esté pour estaindre la soif, et corrige la disposition et distrasie venue des challeurs. Et bruvaige, qui est seulement bruvaige, ne sert seulement que a confire et mesler la viande ou a la porter et menner aux membres, ou a estaindre la soif et l’ardeur venant des viandes seches.

Et de cestui bruvaige sont deux manieres, c’est assavoir : bruvaige artificiel et naturel.

Bruvaige artificial est comme cervoyse, qui est faite d’orge ou d’avoyne ou de hobelon; et ce qui se fait de pommes ou de cerises; bouchet aussy, qui se fait de miel. Desquelz bruvaiges, je ne faray point de mencion, car ilz ne sont pas accoustumes ne congnuz en noz marches de Ytalie.

Item il est deux manieres de bruvaige naturel, c’est assavoir : vin et eaue, desquelz parlent bien a plein les docteurs grecz et arabins. Et touttefois, j’ay aucunefoiz leu

 


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que aucuns gens usent de lait en maniere de bruvaige; autres de huile; autres de sirop.

 

[Eau]

 

Mais pour tant, qui es Ytalies, on n’y use gueres d’eaue en maniere de bruvaige, au moins gens aians quelque pou de puissance, mais seulement, on en use pour cuire la viande. Je en traicteray bien au bref, disant premier que, si l’en veult boire eaue, l’en doit garder regarder si elle vient de bonne terre et louable et qui ne soit point corrumpue, ne puante, qui n’y ait point aussy miniere d’aucuns metaulx. Item que ce ne soit point eaue coye, comme est d’eaue de fossez et de viviers, mais soyt eaue de fontaine courrente en terre sablouneuse ou pierreuse au autre terre ou il n’y ait fange corrumpue, ne puant. L’eaue aussy, doit courré devers orient ou septentrion, car eaues courrantes devers medy ou occident, sont mauvaises. Item elle doit estre descouverte au souleil et au vent, doit estre aussy de bonne et doulce saveur. Item elle doit estre clere et subtille, legiere et non faisant residance. Et, si l’en ne puet trouver eaue ainsy conditionee, il est bon la cuire ou boullier ou la distiller, car [cela] corrige sa malice, ja soit ce que aucuns ignorans medecins dient qu’elle s’engrossit par bouillir et que sa subtilité se ressoult et que ce qui ist dehors, demeure. Lesquelles choses ne sont pas vrayes. Mais ceste matere se doit traicter autre part.

 

[Vin]

 

Nous devons en oultre savoir que, ja soit ce que eaue soit plus convenable a soy garder en santé, car pose que eaue de sa nature, par ce qu’elle est froide et moiste et attrempe la soif, qui est appetit et desir de chose froide, touteffois vin naturelement vault mieulx a mixtionner la viande et a la porter et conduire aux membres et derrenieres partiez du corps, car, a cause de la subtilité de sa substance et

 


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action, il se mesle plus aysement avec les viandes. Et mesmement, pour ce que notre nature se conjoint et debilite plus en vin, elle se attrait a soy plus tost et le mesle avecques les viandes. Et par especiel, ce se fait pour tant que ceste mixtion est faicte par maniere d’aucune ebulition et bouillon, lequel bouillon est mieulx cause et procuré par le vin [plus] que par l’eaue, car le vin est chault de sa nature et pour tant, il aide a bouillir, et l’eaue est froide et par ce, elle l’empesche.

Et ainsy appert que vin est plus convenable a mesler les viandes que eaue et meilleur aussy pour gouverner et nourrir les membres et leur porter la viande, car vin de soy est moult penetratif a cause de sa subtilleté de sa substance et de sa grant chaleur, comme toutes choses chauldes soient fort penetratives. Et pour tant, le vin porte et conduit mieulx la viande aux membres que l’eaue, car l’eaue n’a point en soy de challeur et ne tient [en] riens de complexion de l’air, ne du feu. Item la viande va aux membres par la vertu astractive, qui est es membres et, comme il advient plus en vin et se congnoissent que en eaue, le vin est meilleur a leur porter le nourrissement, que l’eaue n’est pas si bon bruvaige que le vin, car elle ne nourrit point. Et pour tant, elle empesche que la viande ne nourrisse. Le vin aussy conforte la chaleur naturelle, esveille les esperitz et eschauffe tout le corps, lesquelles choses servent a bien nourrir. Item vin a plusieurs bontes et bonnes proprietes sans celles qui sont dittes, desquelles je me passe pour cause de briefveté. Et, par ces proprietes, le vin prins moderement et deuement est trop meilleur que l’eaue.

Mais, si l’en use

 


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de vin excessivement, il blece a merveilles le cerveau et les nerfz, et fait les gens devenir paralitiques et insensibles, et les amaine a pluseurs autres maladies des nerfz. Affin doncques que l’en sache bien et deuement user du vin, nous metterons aucunes regles, que l’en doit garder, qui se veult entretenir en santé. Et si elles sont bien observees, plusieurs grans bien en viendront a la personne.

La premiere regle est que l’en ne doit point boire vin a jeun, ne quant l’en a grant fain, car vin lors prins fait encheoir en une maladie appellee spasmus, qui est retraction de nerfz et fait aucuneffoiz perdre aux gens sans et memoire. Et pour tant, la soif que l’en a a jeun n’est pas vraye et naturelle, mais faulce, decepvable et mençongiere, car soif vraye et naturale procede de chaleur et scheresse [sic] venant de la viande prinse, laquelle chose n’est point a jeun.

La seconde regle est que l’en ne doit point boire vin entre deux repas, lors que la viande estant en l’estomac n’est point encores digeree.

La tierce regle est que, apres grant excercice, l’en ne doit point tost boire vin, car lors, il nuyst fort aux nerfs et au cerveau et mesmement gros vin et fumeux.

La cinquiesme regle, de laquelle parle Avicenne, dit que l’en ne doit point boire vin apres fruitz et apres viandes qui engendrent mauvaises humeurs et mesmement vin subtil et puissant, car il fait trop tost perrer et aller la mauvaistié des viandes aux membres. Et ce doit entendre quant on en prent en trop grant quantité, car, quant on en boit ung petit pour mesler les viandes, il reprime et corrige la mauvaistié d’icelles.

La sixiesme regle dit que, si l’en a une mesme table du vin petit et du gros, on doit commencer au petit et en la fin se doit boire le grant et puissant vin, car la bouche de l’estomac a bien foible

 


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vertu de diger : si est bon qu’elle soit reforcee de bon vin. Item grant vin et puissant se boit voulentiers et en plus grant delectation. Et aussy l’estomac embrase mieulx et plus parfaictement toute la viande, en est aussy aiseement saoullé et enclot plus tost sa bouche. Et, si l’en bevoit premier le plus puissant, il seroit a doubter que, a cause de sa subtillité et action, il ne descendist de l’estomac avant que viande fust digeree et seroit a craindre que il ne actraist avecque luy ceste viande indigeree. Et mesmement, veu que les membres ament et recongnoissent plus en grant vin que en petit, ilz le actroient plus tost qu’il ne seroit convenable.

La septiesme regle dit que, quant l’en veult prendre le vin pour mixtioner et digerer la viande, legierement on le doit boire, tandiz qu’on mangue sans actendre que l’en ait soif. Mais le vin que l’en boit procedant de la viande, doit estre prins en la fin du repas. Et en doit-on prendre plus et moin selon ce que l’en a soif. Item le vin que l’en boit pour conduire et porter la viande aux membres, doit estre prins apres la premiere digestion et le puet-on prendre ung petit de-  -vant l’eure du repas ensuyvant. Et doit l’en user de tel bruvaige principallement quant les viandes premier prinses, sont de grosse substance et action. Et ne doit l’en attendre a boire jusques ad ce que l’en ait soif, car tel bruvaige prepare et dispose l’estomac a recevoir la seconde viande, ffait [sic] aussy penetrer et aller la viande au foye. Mais l’en ne doit lors gueres boire affin que le bruvaige puisse estre tost digeree, car on ne doit point ymaginer que la viande ou le vin voise au foye jusques ad ce qu’elle [soit] digeree en l’estomac.

Et devons [savoir] que, par ceste digestion des bruvaiges, sont

 


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ostes et declares plusieurs doubtes et ambiguitez, qui se font en medecine. Et accordent plusieurs textes, qui semblent estre contraires, lesquelz, a la verité, sont bien concordans, car aucuns docteurs parlent aucuneffoiz du bruvaige qui mesle les viandes; et aucuneffois parlent du bruvaige qui estaint la soif; aucuneffois [ou oiz] aussy du breuvaige distillatif et conduisant la viande aux membres, ainsy qu’il peut apparoir a ceulx qui regardent leurs livres.

La huitiesme regle dit que de tant que la viande et a la conduire et porter, de tant aussy que la viande est plus chaulde, subtille et plus moiste, doit estre moindre le dessusd. bruvaige. Et pareillement, de tant que la viande est de plus dure digestion, doit estre le vin plus puissant. Et de tant qu’elle est plus aisee a digerer, doit estre le vin plus petit et plus foible. Et pour tant, qui use de char de boeuf, il doit boire plus grant vin que celui qui mangue poucins.

La IXe regle monstre et dit que, quant l’en a bien grant soix, on doit boire petit vin, qui peut moderer et attremper la challeur, car grans vins ne sont pas bons ne convenables a [r]estraindre la soif.

La Xe regle enseigne que nourrisses et enfans jeunes ne doyvent gueres boire du vin [si] ce n’est bien petit et aussy fort trempé. Mais les gens de grant eage doyvent user de grant vin souef flairant et de bonne saveur, car, comme dit Avicenne, donner vin aux jeunes enfans, n’est autre chose que de adjouster feu a feu en langue foyble. Et la cause s’i est, pour ce que jeunes enfans ont les nerfz tendres et pareillement le cerveau. Et ainsy, ilz sont tost blecez et grevez du

 


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vin. Et quant est des enfans nouvellement nez, il est certain qu’on ne leur doit bailler aucunement du vin et de tant qu’ilz viennent avant en eage, ilz pevent plus largement user de vin et sans dangier.

La unziesme regle dit que ceulx qui ont le cerveau foible et tendre, soit naturellement ou par accident, ne doyvent point user en grant quantité de vin puissant et souef flairant, car le petit est mieulx convenable et attrempé leur est meilleur. Et semblablement, ceulx qui ont le foye et l’estomac chault se doyvent abstenir et garder de bons grans vins et chaulx; pareillement aussy, ceulx qui sont de chaulde complexion et nature, comme sont les coleriques et sanguins.

Le XIIe regle enseigne que l’en ne doit point user en maniere de bruvaige de vin viel, car c’est plus medecine que bruvaige et ainsy l’entent Avicenne, quant il dit vin viel est comme medecine. Il blasme aussy et desprise vin nouveau, qui n’est point purifié encores et esclarcy, car il est fort oppillatif et estouppant et amaine la personne a une doulceur et passion appellee dissinteria, qui est ung cours de ventre avec sang et vient du foye. L’en doit doncques eslir et choisir vin du temps moyen et qui est bien cler et purifié.

La XIIIe regle est prinse de la parolle de Gallien, qui dit que soy en jurer une foiz ou deux le moys, est bon pour soy conserver en santé. Et en assignent aucuns la cause, car, par ceste yvresse, l’en doit mieulx et plus longuement par quoy les vertuz des sans et de l’entendement se reposent mieulx; et les vertuz naturelles s’en efforassent et fortifient. Item, apres ceste yvresse, l’en sue ou l’en vomit et urine l’en largement, par quoy

 


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le corps et mondifié et purgé des superfluitez qui y sont. Mais touteffoys, je ne approuve aucunement ceste regle, si non a ceulx qui usent de mauvais regime, car, a mon jugement, ceulx qui se gouvernent bien et usent de bon regime, ne doyvent point ensui[vi]r ceste regle. Gallien doncques entent la parolle pré-allegué de ceulx qui sont de mauvais gouvernement. Et pour en ceste regle, est a noter que l’en ne se doit point fort enyvrer et tellement que le cerveau soit travaillé, car telle yvresse debiliteroit et affoibliroit plus les vertuz de l’ame sensitive que ne les conforteroit et aideroit le repos qui s’en ensuyvroit. L’ivresse donc doit estre petite, qui puisse faire dormir et oster pour l’eure tout soing et soucy. Et plus avant s’en enyvrer est moult a blasmer, car il est moult contraire aux bonnes meurs et a la santé du corps.

La quatorsieme regle enseigne que le vin n’est seulement bon en maniere de bruvaige, mais aussy sert a nourrir et restaurer ce qui est perdu, sert aussy a engresser la personne. Et qui veult user a ceste intencion, il doit choisir vin gros et doulx et de forte couleur, car tel vin nourrit bien et restraint et engresse. Et pour tant, gens maigres et extenues de nature ou par quelque accident, doyvent user de telz vins, comme dit est. Mais ceulx qui ont les vaines petitez et estroictes se doyvent garder, car il leur pourroit faire mal.

La XVe regle dit que, quant l’en veult boire vin pour conforter les vertuz et reparer les esperitz, on doit prendre vin subtil souef flairent et de bonne force. Et ne doit-on lors gueres mangier. Et cestui vin doit estre bien purgé de toutes superfluites. Et en doit l’en

 


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prendre en petite quantité.

La seziesme regle monstre que, quant l’en veult user de vin pour conforter l’estomac et les entrailles, comme il fait a ceulx qui ont le flux du ventre, l’en doit choisir vin gros pontique et restraignant, qui est de couleur rouge ou noire.

La XVIIe regle monstre et desclare que vin trempé affoibly d’eaue, est plus louable et plus a desirer que vin qui est de soy-mesme petit et naturellement foyble, combien [que] j’aye esté autrefoiz de contraire oppinion, mais ce [que] je dy a present doit estre entendu quant le petit vin est aussy foyble que l’autre vin meslé d’eaue. Et par especial, ceste regle a lieu quant le vin est moult petit et foyble. Et la cause de ceste regle est, car vin bien petit est moult disposé a corrupcion et pourreture, comme nous povons veoir par experience, car, si l’en prent de bon vin trempé d’eaue et du petit vin et du foyble et qu’on les lesse une nuit en ung voirre, chaschun a part soy, l’en sentira au matin que la saveur du petit vin sera alteree et aucunement corrumpue; mais ainsy ne sera [-t-] il pas trouvé du vin tempé d’eaue. Et a ceste regle n’auroit point de lieu si les deux vins n’estoient aussy foybles les ungs comme les autres, comme il puet asses apparoir a gens d’entendement.

La XVIIIe regle dit que, si l’en veult boire du vin pour nettoier et purger la poytrine et le poulmon, pour aussy lascher le ventre, l’en doit choisir vin de substance moienne et de doulce saveur, et mesmement, quant on n’est point coustumier d’avoir oppillations et estoupemens es vaines.

La XIXe regle desclaire que le meilleur vin est plus a eslire pour soy maintenir en santé, est vin moyen entre le viel et le nouveau, cler et pur, claret et de couleur et tendant a vermeil, aiant bonne et souefve et bon goust.

 


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Et ne doit estre suragu, ne doulx, ne aussy fumeux, ne gros, ne fort subtil. Touteffoiz, il doit plus decliner et tirer sur le subtil que sur le gros et ne doit tenir moien entre le bien grant et le bien petit.

La XXe regle dit et enseigne que, quant l’en doubte estre yvre a cause de sa foy blessé et tendreur de son cerveau, ja soyt ce que l’en ne boyve que vin moyen, on doit prendre a jeun amandes et mesmement celles qui sont ameres, ou commin, ou sermence noire, comme semaille qui s’appelle ameos, prinse avec eaue froyde, avec vin aigre ou vin fait de pommes de Grenade. Est bon aussy en ce cas, flairer canfre et ung boys semblable a brezil appellé sandalles, mais, pour ce que ces choses sont hors du regime de santé, il nous fault restourner a notre propos.

La XXIe regle dit que vins artificiellement faiz, dont on a coustume de user, aucuns ne sont point convenables au regime de santé, come vin ou l’en a mis de la saulge ou des roses ou d’une herbe appellee l’yonne, car telz vins sont mieulx medecine que bruvaige. Touteffoiz, on en pourroit aucunefoiz prendre a petit quantité.

Et est assavoir que toutes les choses susd., sont prinses et recuillies d’Avicenne, au chapittre qu’il fait du regime qu’il fait d’eaue et de vin.