📜 Le Régime de Santé par Guy Parat (vers 1459)
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A tres hault, tres noble et tres excellent prince, monseigneur le duc de Bourgoingne[1], Guy Parac, chevallier et phisicien de monseigneur le duc de Milan, tres humble recommendation.
Comme notre Saint Pere le pape Pius, deuxiesme de ce nom[2], tenist journee des princes crestiens en la cité de Mantua, je eus grant desir, tres victorieux et puissant prince, de illec me trouver pour veoir la venerable Sainteté, pour luy faire honneur et reverence deue. Et, comme le noble duc de Cleves et le tres renommé chevallier messire Jehan de Crouy, vos honnorables ambaxadeurs y fussent arrivez, advint que, ung petit de temps apres leur venue, ilz encheurent en maladie par la mauvaistié de l’air ou par ce, a l’aventure, qu’ilz avoient trop travaillié en venant. Si, [j’] euz commendement de tres puissant et excellent prince, monseigneur le duc de Milan, mon maistre, que tres songneusement les visitasse et ainsi le fiz. Et certes, je y mis toute ma peine et diligence. Et si je ne me y demonstray bien souffisant et excellent phisicien, si me y acquitay-je touttefoiz comme bon et loyal serviteur.
Ainsy, apres le partement de tres reluisant prince, monseigneur le duc de Cleves qui ja, mercy a Dieu, estoit reveneu en santé, je fuz appellé du tres adrete seigneur messire Jehan de Crouy dessus nommé, a penser de son cas et en prendre la cure. Auquel, si je fis aucun bon service, je ayme mieulx que vous le saichez par la relation que par mes lettres. Touttefois, je vuial bien ce dire et affermer que rien ne me povoit sourvenir plus plaisant, ne plus desiré, que ceste occupation. Car, comme dit le poete Claudien, ce n’est pas petite chose povoir acquerir la bonne grâce des princes, mesmement de vous, mon tres redoubté seigneur, qui, entre tous les ducz et princes crestiens, avez tousjours eu singuliere preeminence, non pas seulement en puissance, mais aussy en excellent et divine vertu.
Et comme je eusse ung merveilleux desir de moy povoir desclairer votre tres humble et obeissant serviteur, tel que je suis a la verité, j’ay moult de foiz a moy-mesmes pensé quelle chose je vous pourroie printer de nouvel, qui vous donnast quelque petit tesmoignage de la souveraine amour que j’ay a votre tres noble personne. Et considerant, monseigneur, que ne me loysoit et, a par vous envoier don qui ne fust a offrir a votre haultesse et convenable a mon estast et profession, j’ay jugié que ne vous devoye offrir quelque chose temporelles richesses, comme or, pierres precieuses, tapisseries riches, draps et aultres biens de fortune, car il n’est nul qui saiche en quelle habundance vous estes fourny de toute icelles choses. Ainsy, si je me avancoye de vous envoier icelles choses, se seroit comme si je vouloye porter de l’eaue en la mer ou du boys en la forest. Aultre cause y a qui de ce faire me destourne, car les choses dessusdictes sont de ceste condicion que l’en puet forcer et contraindre les gens a les bailler contre leur gré et si les pevent les ennemis oster et ravir.
Affin doncques, tres excellent prince, que vous puisses aucunement congnoistre combien je vous desire faire agreable service, j’ay propossé vous printer humblement, non pas de dons venans de fortune, mais des biens sourdans d’engin et de vertu qui jamais ne se doyvent donner, fors a ceulx qui sont leurs amis et bienvueillans. Et de ce don, que je me enhardiz a printer a votre haulte magnificence, sont aucuns enseignemens de soy garder et conserver en santé, lesquelz, come ilz soient espartiz en plusieurs et diverses volumes de
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nos maistres et acteurs de medecine, j’ay recuilly en ce petit traicté. Et ay labouré de vous choisir la brave fleur et la plus eslevé doctrine de tout ce qui s’i est peu trouvé. Et quoy que je soye itam que vous, mon tres honnouré seigneur, avez tres excellens clertz, tant en notre science de medecine comme en toutes aultres sciences, si n’ay-je touteffoiz esté descouraigé ne desmu de ceste oeuvre. Et tiens voz phillosophes estre tant vertueux et humains, que je esporre que non seulement ils ne me imputeront pas a vice, ains le loueront et recommenderont le bon vouloir et tres loyalle affection que j’ay a vostre tres digne et tres noble personne. Et n’est mon intencion les vouloir enseigner ou aucunement instruire, mais seulement ramentevoir et refreschir ce qu’ilz scevent ja de long temps.
Je vous supplie donques tres puissant et tres excellent prince que de votre benigne grace, vous plaise en gré recepvoir ces enseignemens qui sont tres utiles et prouffitables pour garder la santé. Et je ne les ay mis en si beau et aorné langaige comme a votre haultesse estoyt bien deu. Je esporre neantmoins que ne prendres a desplaisir et que vous aurez regard a la condicion de la matiere dont devons parler, laquelle ne puet estre traictee par eloquence et ne se veult aucunement pollir ne aourner. Vous adviserez aussi monseigneur s’il vous a la grant amour et tres grant affection que j’ay en vous, qui ay plus desiré vous offrir le fruit que les fueilles.
Notes
[1] Philippe le Bon, duc de Bourgogne (1419 à 1467).
[2] Pie II, pape (1458 à 1464).