📜 Le Régime de Santé par Guy Parat (vers 1459)
Des herbes froydes.
Nous traicterons en brief des herbes dont entre nous, Ytaliens, avons destoustume [sic] de user
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et qui sont aussy des autres accoustumees de mangier. Et premier, disons que toutes les herbes, dont apres sera faicte mencion, ne sont gueres convenables a notre nature pour en user par maniere de viande quant l’en ait haitié, ja soyt ce qu’elles nous puissent aucunement preserver d’aulcunes maladies. Et la cause pour quoy elles nous sont bonnes et comme laictues, blectes, espinars et semblables herbes, engendrent sang antique et qui, par sa grande moisteur, est disposee a corrupcion et pourriture. Et les herbes chauldes, comme sont sauges, mente, persil, sauge, ongnons, semence et aultres semblables, engendrent sang fort et agu et poignant et qui enfle la personne. Et par ce, appert que gens haitiez et qui ont le corps bien attrempé, ne doyvent gueres user de herbes par maniere de viande. Touteffoiz, bourraches et herbes de buglose nuysent moins que les aultres pour ce qu’elles approuchent a complexion attrempee.
Nous devons secondement savoir que l’en ne doit pas manger les herbes crues, si non aucuneffoiz laictues et pourcelaine avec du vin aygre, en temps de grans challeurs et ce pour moderer et adoulcir l’ardeur du sang et l’eschauffement de l’estomac et du foye. Et les doyt-on prendre a entree de table. Item l’en doit manger en temps froit herbes chauldes, comme est cresson, persil, mente, sauge et semblables. Et en esté, l’en doit user de laictues, espinars, bectes et semblables herbes. Et en temps moyen et attrempé, son en sayson bourraches, l’erbe de buglose, hobelon et une herbe appellee esparges, qui croist es Ytalies et a feueilles asses semblables a bousset, car ces robes sont asses attrempees. On ne les doit touteffois mangier puis que leurs semences appairent, car elles sont lors trop endurcies; ne se doyvent aussy mangier quant elles sont moult
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petites, pour ce que adonc, elles ont trop de superfluites. Et, si l’en veult mangier aucuns des herbes surdictes, on les doit prendre a entree de table, car elles laschent communement le ventre. Mais au contraire, est de la substance des chous, car ja soit ce que leur soyt laxative, mesmement leur substance serre; si est bon a les prendre a l’issue de table et l’eaue a l’entree. Et pour [ce], l’en ne doyt mangier ensemble les choux et l’eaue ou ilz n’ont gueres bouilli, car telle eaue trouble fort, pour ce que l’eaue des choux lasche et leur substance restraint. Mais, apres la premiere eaue, l’en puet bien prendre la substance et la seconde eaue ou la tierce. Et, si l’en veult prendre la premiere eaue avec la substance, il est bon que, en ceste eaue, aient longuement bouilli.
S’ensuyvent les herbes qui sont bonnes a mangier et dont l’en peult faire poree:
Laictues; bectes; espinars; pourelaine; choux; bourraches; buglose; caourdes; persil; ape; oingnons; pourreaulx et aulx (combien que de aulx ne fait point proprement pourree, mais on en fait saulce). Et de toutes ces herbes nommees, nous traicterons en bref. Et premierement de la lactue.
De la laictue.
Ja soit ce que la laictue ne nourrisse gueres, comme non font les aultres pourres, touteffoiz elle engendre bon sang qui decline a froidure et moisteur. Et pour tant, il est bon que gens de chaulde complexion en
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usent en temps chault. Et se puet mangier crue et cuicte, mais la crue nourrit moins et plus refroidit; la cuicte fait le contraire. Et n’est bon a laver lors qu’on la veult mangier, car par laver, elles devient plus froyde et plus plaine de ventositez et si enfle plus et est plus dure a digerer.
S’ensuyvent les biens que fait la laictue a la personne et le confort pareillement :
Premierement, elle est de bonne et aisee digestion et si estaint la soif, modere la challeur du sang et de la colle, attrempe la multiplication et eslievament des vapeurs, baille et multiplie le lait aux mamelles des femmes, esveille l’appetit des femmes et garde de devenir yvre et provocque le dormir. Et pour tant, les vielles gens en pevent bien user affin de mieulx dormir. Mais, pour ce qu’elle est froide et moiste, on la doit mangier avec espices pour attremper sa froideur, comme Gallien faisoit en sa viellesse. Item elle restraint et refrene l’appetit charnel. Mais elle fait mal a la veue et qui en useroit trop continuellement, il sentiroit la veue amandrie et obscuree. Au sourplus, nous devons savoir qu’il est deux manieres de laictues : l’une est domestique et croissant aux jardins; l’autre est sauvaige et vient aux champs. Celles des jardrins est bonne et saine; mais la sauvaige, pour ce qu’elle est moult froide et trop plus froide que l’autre et si rent la personne a peine aussy insensible, comme fait opium, n’est pas bonne a mangier en maniere de viande, mais on en use bien en medecine.
Des bectes.
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Ilz sont deux especes en maniere de bectes, c’est assavoir : blanches et noires ou vertez et brunes. Et les blanches ou vertes vallent mieulx a mangier que les aultres et ne se doyvent aucunement manger crues mais cuictes. Item les bectes nourrissent moins que les laictues et ne engendrent pas si bonnes humeurs, comme font laictues. Et dient aucuns que la becte est plus moiste en sa nourriture et complexion que laictue. Au sourplus, user continuellement des bectes affoyblit l’estomac et les entrailles et intestines et si engendre douleur au ventre. Et qui se veult garder de ces inconveniens, il doit mettre en sa pourree de bettes des espices qui puissent reprimer et corriger leur malice.
Des espinars.
Aucuns mettent difference entre espinars et une herbe appellee des phisiciens actriplices, qui a les feuilles asses semblables a la laittue. Mais je vueil a present mettre ceste difference pour ce qu’ilz sont plus moistes et plus pleins d’eaue que les blectes. Et pour tant, l’en dit qu’ilz laschent le ventre. Item ilz adoulcissent et attrempent l’ardeur de la colle et ne nourrissent gueres, mais ilz provocquent le vomir. Et, dit Avicenne, l’estomac craint et redoubte leur jus et s’en effree. Et pour tant, avant qu’on les mangue, il est bon d’y mettre du sel, de l’uille et du vin aygre.
De la pourcelaine.
La pourcelaine ne baille gueres de nourrissement et n’est led. nourrissement louable, car il est froit et moiste. Item la pourcelaine obscurcit
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la veue et amaindrit le desir charnel. Mais elle est bonne a estaindre la soif et vault moult contre router de la vayne, de la poictrine. Sert aussy, comme dit Aristote, a oster l’insensibilité et estourbissement des dens, quant on la masche. Et ce, veons par experience.
De la caourde.
La caourde est froide et moiste et engendre en la personne humeur aquatiques qui, touteffoiz, ne sont excessives en leurs qualitez, mais qu’on puisse digerer a ycelle caourde. Et pour ce qu’elle est de bien tendre substance, elle se corrump legerement. Et, quant elle se corrompt en l’estomac, par faulte de digestion, les humeurs qui s’en engendrent, sont bun mauvaises. Et pour tant, ceulx qui n’ont l’estomac net, n’en doyvent point user. Au sourplus, pour ce qu’elle est moult a quatité, il est bon la preparer et apointer, come font ceulx de Pavye, qui y mettent d’un oignon blanc ou du fenoul ou du calamentum, qui est une espece de mente sauvaige ou a fueills [sic] semblables a la marjolayne, si non qu’elles sont ung petit plus grandes. Et Avicenne conseille ceste maniere de faire. Item la caourde, de toutes ses proprietes, nuist aux intestines et entrailles.
Des chous.
Des choux, comme l’en dit, sont de complexion froyde et seche. Et par ce, ilz engendrent humeurs melancoliques et nuysent a l’estomac et ne nourrissent geures et si engendrent pires humeurs que laictue. Ilz obscursissent aussy la veue, si
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l’en n’avoit les yeulx moult moistes. Et a telz, ilz y pourroient servir par les sechier aucunement. Item leur substence serre le ventre, mais la premiere eaue le lasche. Et devons savoir que les choux confortent moult les joinctures, tant par dedans que par dehors. Et en ceste consideration, les femmes anciennement nourrissoient leurs enfans de choux, affin de povoir plus tost marcher.
De la bourrache.
La bourrache et la buglose, qui est bourrache sauvage, entre toutes les porres, sont les meilleures et les plus convenables a mangier, car elles sont chauldes et moistes en bonne moderation et engendrent bon sang. Mais, pour ce que en la bourrache se treuve ung goust aspre, par quoy elle n’est gueres plaisant a goust, il est bon a y adjouster aucune herbe doulce pour oster ce goust estrange, comme espinars et bectes bien tendres. Item user de bourraches conforte le cuer et tous les membres espirituelz et si esjouyt la personne, soient cruez ou cuictez. Touteffois, il vault mieulx les mangier cuictes. Et est bon adjouster es bourraches, ung petit de persil pour reprimer leur moisteur et ung petit de bettes ou d’espinars pour adoulcir leur aspresse, comme dit est.