📜 Le Régime de Santé par Guy Parat (vers 1459)
Le IIIe chapitre qui parle du mouvement et excercice et du repos.
Puis que on a traicté de l’air, de la viande et du bruvaige, reste a present a traicter de la troysiesme partie, c’est assavoir des exercices corporelz qu’on doit faire pour sa santé. Et est ladicte excercice tres utille quant elle se fait moderement et sans traveil. Mais, quant il se fait a peine et qu’on s’i lasse, ce n’est que ung labeur et affliction et ne prouffite riens, ains empesche la santé et engendre maladies. Et Gallien conte de soy-mesmes, au commencement du cinquiesme livre de la conservation de la santé, que, apres qu’il eust passé l’eage de xxviii ans et qu’il commence a garder les commendemens de medecine, oncques puis il ne fut malade si non d’une fievre effimere qui ne me duré que ung jour. Et celle lui venoit aucuneffoiz de travail ennuyeux qu’il prenoit en visitant aucuns malades, ou de veilles labourieuses.
Item fait a noter que, avant que l’en prengne excercice, on doit avoir esté a chambre. Et puis, l’en se doit excercicer moderament. Et telle est
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l’oppinion de Gallien, de Avicenne et de Almosor. L’en doit doncques excercicer son corps quant l’en a viande prinse et digeree en l’estomac, au foye et es vaines, et que l’eure de prendre refection seconde approuche ou desia est venue. Et, si aucun demande a quelle heure les digestions nagueres touchees sont faictes (laquelle demande se fait bien communement mais pou de gens y respondent), nous povons dire en suyvant la sentence d’Averroys que, es plusieurs, la digestion est acomplie a neuf heures, soyt de jour ou de nuyt. Mais Gallien, ou livre sixiesme de la conservation de la santé, ou il parle du temps et de l’eure convenable a l’excercice, dit que la digestion est acomplie a neuf heures.
Item nous devons savoir que plusieurs biens sourdent et procedent de excercice fait deuement et en bonne moderation. Premier, il fortiffie la challeur naturelle par quoy il esvertue l’appetit de l’estomac et luy accroist vigueur et force. Par ce moyen aussy, les membres recoyvent plus habundaument leur nourrissement. Item il fortiffie et renforce les joinctures, mais qu’il soit avant mangier. Et generallement, il conforte toutes les vertuz naturelles, c’est assavoir la vertu attraiant, la retentive, la digestive et la expulsive. Pour tant, dit moult bien Avicenne que celui qui delaisse son exercice, fait venir ces inconveniens, car, par ce, la vertu des membres se affoiblit et debilite pour tant qu’ilz ne se meuvent point. Et touteffoiz, le mouvement leur amaine les esperitz de vie par lesquelles ilz accomplissent leur operations naturelles. Et fait a noter ce que dit Almasor que, apres mangier, l’en se doit garder de excercice trop viollent, car, comme le mouvement et excercice fait avant mangier est cause
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de santé, ainsy cellui qui se fait apres mangier engendre maladies. Nous devons aussy savoir que les excercices se doyvent faire en bonne moderation, car Gallien, parlant de la maniere et qualité de excercice, dit que grans excercicez et viollens mouvemens extenuent le corps et fourcheissent, mais quant ilz sont moderez, ilz se engroissent et lui donnent char.
Le second fruit venant de moderé excercice est que les membres endurcissent et endurent mieulx le travail. Ainsi [ils] sont plus puissans a acomplir ce en quoy on les puet emploier, qui appert de gens accoustumez a quelque excercice comme gens de guerre se travaillent trop moins a porter les harnoys que autres non accoustumez a ce faire.
Le tiers bien sourdant de excercice est que les esperiz s’en esveillissent et leurs mouvemens et sont plus esvertuez et efforcez, par quoy les superfluites se purgent mieulx par les subtilz pertuiz du corps. Et a ceste cause, excercice moderee ne seufre les humeurs ne les superfluitez soy multiplier au corps. Et, quant il y en a grant largesse, il fault user de seignee ou de medecine laxative. Et combien qu’elles purgent le corps, touteffoiz elles font les gens enveillir, mesmement la medecine laxative, car communement, il y a des choses fort semblables au ventre et pour tant, elle ne purge pas seulement les mauvaises humeurs, lesquelles sont le fondement de notre vie.
Touteffoiz une chose fait icy a noter, c’est assavoir qu’il n’est pas bon que la personne qui habunde en humeurs cruez et indigerees se excercice fort, car par grant et vehement excercice, l’en attrairoit icelles humeurs par toutes les parties du corps qui y feroient grant mal, comme elles soient bien
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mauvaises et indisposees. Et, en ce, plusieurs sont deceuz, pensans bien besongner en faisant le contraire, car cestui excercice n’est pas suffisant a purger le corps remply des humeurs susdictes, mais seullement les esmeut et fait boullir et fait espandre par tout, dont se pevent ensuyvir fievres, appostumes, oppillacions et estouppemens. Advient doncques que telles gens ainsy remplies se excercicent et mesmement de grans mouvement. Ilz se doyvent faire seigneur [saignée] ou prendre medecine laxative propre a purger les humeurs mauvaises estans au corps.
Et, si l’en demande la quantité et qualité de excercice dont on doit user au regime de santé, l’en doit respondre qu’il n’est pas possible limiter et precisement declarer de bouche ne par escript comme ne fait l’en de plusieurs choses dont l’en usons, car, selon la diversité des complexions, des dispositions, des eages, des regions, des gouvernemens, des regimes et des coustumes, il en fault diversement user, en aucuns plus, en aucuns moins. Touteffois, nous povons dire en termes generaulx qu’on se puet excercicer jusques ad ce que l’en sent son corps eschauffer et rougier et ses vaines engrossir; item que les membres se commencent a lasser; et, quant on s’aperçoit de ces choses, l’en se doit deporter de l’excercice, comme nous voyons clerement es prisonniers qui ont les visaiges enfles et plains d’umeurs corrumpuees et n’ont pas la couleur nette mais palle et morte. Ilz sont aussy amoindris et debilitez en toutes leurs oevres.
Item nous devons noter qu’ilz sont plusieurs diverses manierres de soy excercicer, lesquelles manieres declairees, particulierement seroit chose tres
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difficille. Mais nous en toucherons d’aucunes en general et en baillerons aucuns exemples par quoy l’en pourra venir a la congnoissance de plusieurs autres manieres. Nous disons doncques qu’il est aucuns excercices qui ne sont seulement que excercice comme jouer a la paulme. Et aucuns font excercice et oeuvre ensemble, comme fouir et charpentier. Item il est aucuns excercicez qui occuppent et en besongnent tout le corps pour soy pourmener ou saillir ou autre excercice, ne besongne seullement que une partie du corps comme chanter l’excercice du poulmon. Et soy tenir deboult est l’excercice du dos comme dit Averroys. Escrire aussy est l’excercice des mains et tistre est l’excercice des piez et jambes. Item il est aucun excercice grant come faire ung long chemin ou luitter longuement. Et aucun excercice est petit comme aller ung petit et luitter ung pou. Et aultre excercice est moien comme faire ung moien chemin ou luicter une moyne espace de temps. Et le grant excercice fait amoindrir, le moien accroistre et augmenter moderement la char et la challeur naturelle. Et l’excercice qui est petit eschauffe ung pou. Item il est aucun excercice hastif et impetueux et cestuy eschauffe premier le corps, puis il endurcist et engrossit. Et aucun excercice est lent et tardif, lequel amolist le corps et oeuvre les pertuys qui y sont. Et l’excercice moyen entre les deux conserve le corps en sa bonne disposicion et nature.
Au sourplus, il est aucun excercice fort, aucun foyble, aucun moyen. Et l’excercice se puet dire fort et grant et par deux manieres. L’une quant on fait bien legierement aucune
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chose bien grande, comme se aucun courroit bien tost grant chemin : l’en diroit telle excercice estre fort et grant. Et par ce, appert quel excercice est foyble. Autre maniere l’en puet nomer ung excercice fort par la grant resistence de la chose ou l’en se prent, comme lever ung grant fes. Et icy n’a point lieu excercice tardif ne hastif. Et quelles vertuz aient touz ses excercices susd., on le puet assez congnoistre par ce que dessus a esté declaré.
Le chapitre traicte du froter.
Comme froter appartienne au mouvemens du corps, nous en traitterons et parlerons en brief, car, par soy frotrer, plusieurs biens viennent a la personne. Et premier, par soy froter, l’en purge et nettoye les superfluites qui sont sourvenues entre cuir et char par l’excercice du corps. Secondement, les superfluitez de la tierce digestion sont expelleez et purgees par soy froter comme l’excercice. Et pour tant, ceulx qui ne pevent user de excercice, ne doyvent oblier a soy faire froter, comme les malades, les debilles ou les prisonniers ou ceulx qui sont constituez en haultes dignitez, lesquelz, pour leur honneur et qualité, ne se osent excercicer.
Avecques les biens dessus declarez, qui procedent de soy froter, il en est encores d’aultres, car les humeurs en deviennent plus subtilles, les pertuis et conduis s’en oeuvrent et la challeur, qui est es membres, se renforce et conforte. Et, par ceste maniere, les superfluitez s’en vuident plus aiseement, par quoy les membres se nourrissent plus parfaittement. Et est assavoir que, par soy
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froter, les membres rares et linges s’engrossissent. Et ceulx qui sont trop espes deviennent linges et menus. Et les durs se amolissent et les attrempez se conservent en bonne disposition. Je dy doncques que, aux corps subtilz et linges, duit bien et est tres convenable soy froter, non pas seullement pour expeller les superfluitez et pour les aultres biens dessusd., mais aussy affin que aucuneffoiz le corps s’engrossit et est plus fort a resister aux maladies. Il sourt encores utile et fruit de soy froter, car, quant on est laz, on se eslesse et mect a point par soy froter. Et doit l’en prendre pareille heure a soy froter, comme on a dit devant de soy excercicer. Mais il fault noter que, selon la diversité des complexions et disposicions, on doit diversement user de froter et plus ou moins comme dit a esté dessus de l’excercice. Au sourplus, nous devons savoir que, par soy froter largement, l’en se amaigrist; et moderement le faire accroist et augmente la char en bonne moderation. Mais se froter bien petit eschauffe aucunement, mais il ne baille point char.
Le chapitre du boign.
Pour ce que boing est convenable a s’entretenir en santé, comme on a dit du froter, nous avons intention d’en toucher ung petit, presupposans premierement que les baings qui ont aucune semblance ou similitude aux medecines laxatives et aux metaulx, comme baings chaulx de nature, ne sont aucunement convenables pour soy maintenir en santé, mais ilz pevent bien estre bons a garir d’aucunes maladies, desquelles nous n’avons
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pas intencion de parler a present.
Et doit l’en savoir que, pour conserver la santé, on use plus communement d’estuffes que de baings. Et ne se pevent faire les bains sans eaue ou aucune liqueur. Mais, les estuffes se fons et sans eaue, et est plus leur proprieté resouldre que mouillé par amoistier. Et, de leur condicion, elles resouldrent souverainnement les superfluitez qui sont aux escumes des herbes. Elles ont diverses opperations et effectz, car aucuns eschauffent fort et ne s[e]chent gueres; et aucuns seichent moult et eschauffent pou. Et, selon que le medecin congnoist estre neccessaire ou utile, il doit diversifier es escumes et y mettre de diverses herbes; doit aussy moderer le feu selon qu’il voit estre expedient a celui qui s’escume. Mais nous devons bien noter que, celui qui a le corps replet de toutes humeurs, ne se doit point regulierement estuffer. L’en ne doit aussy entrer es estuffes incontinent apres mangier, car, lors les humeurs courrent et se esmeuvent et se disposent a putrefaction et pourreture et en pevent sourvenir plusieurs inconveniens, comme apostumes qui se engendrent dedens le corps ou dehors. Item, [si] aucun se estuffe tost apres mangier, la digestion est empeschee pour ce que la challeur se mue du parfont du corps aux extremitez et se part du lieu ou se doit faire la digestion. Et, par ce, la digestion se debilite et affoiblit et la viande indigeree se tient et tire aux membres. Et, de ce, pevent ensuyvir estouppemens et oppillations, appostumes, fievres, ydropisie, mauvaise couleur et rougnes.
Oultre ce fait, [il est] a noter que le baing, dont le corps peut avoir besoing selon le regime de santé, comme on a dit, de moderé excercice et de
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soy froter, doit estre faicte d’eaue doulce du quel pevent sourdre et proceder les biens et fruitz qui s’ensuyvent.
Premier, le baing lave et nestoye le corps des soulleures et superfluitez qui procedent a l’adventure de l’eschauffement qu’on a aquis par l’excercice. Secondement, s’il y avoit demouré aucunes superfluitez de la tierce digestion en la peau et la char, qui ne fussent suffisaument ressoultes et aneanties par soy froter, le baing les ressoult. Tiercement, si quelque ung ne se povoit excercicer, non obstant aucuns des empeschement touchez et precedens chapitres, le baing supplieroit le lieu de l’excercice. Quartement, le baing eschauffe la mouelle et amoistit les membres, lesquelz avoient esté ung petit seichez par l’excercice et le froter. Quintement, il provocque le dormir, oeuvre les estouppemens, lasche le ventre, conforte la digestion et actrait le nourrissement aux membres et oste la lasseure et travail du corps, mais qu’il soit bien attrempé et prins en bonne moderation.
Mais, quant on le baille indeument ou a ceulx qui n’en doyvent user, plusieurs dangiers en pevent venir a nature, car, quant l’en s’i tient longuement, il debilite le cuer et engendre ung ennuy et abhomination de la viande. Puet aussy faire faillir le cuer et esmouvoir les humeurs qui sont a repos et les fait aller aux membres foibles. Item il oste l’appetit de mangier et affoiblit le povoir d’acomplir l’oeuvre charnelle. A ceste, on doit bien adviser comment on baille le baing. Et fault avoir regard a le moderer selon la complexion et nature de celui qui se doit baigner. Et se doit[-on] bien garder de trop sejourner au baing, per especial celui qui a le cuer, l’estomac et les join-
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-tures foibles et debiles.
Mais, si l’en demande comment et pour quelle cause on se doit baigner et comment le baing doit estre appointé, pour ad ce donner responce, devons savoir que le lieu ou l’en se doit baigner, doit avoir troys places et chambretes, ja soyt ce que Gallien et Averrois en mettent quatre. La premiere doit estre tiede. La seconde doit plus approuchier a challeur et la tierce doit estre chaulde. Quant aucuns doncques [fait] cest excercice, il se doit reposer en la premiere chambre et illecques se doit despouiller. Puis il entrera en la seconde, et la, il se doit faire froter. Apres, doit entrer en la tierce chambre et illecques, se doit tenir en la challeur tant qu’il commence a avoir chault. Et puis, se doit faire souvent laver et doit prendre largement eaue. Et puis, quant tout ce est fait, il s’en puet aller. Et en partant, il doit bien garder qu’il ne voyse en l’air froit. Et mesmement, doit soy garder et bien adviser qu’il ne soyt touché du froit au chief, car tres legierement il prendroit la rume. Se doit aussy garder de boire incontinent apres le boing, mesmement eaue froide, car elle blesseroit fort les intestines et boyaulx. Item l’en ne doit mangier ne boire au baing, ne tost apres, mais doyt l’en actendre qu’on soit bien reposé et que la challeur du corps soit bien actrempee et moderee. Et de ceste sentence sont Ypocras et Gallien. Et, si aucun desire plus amplement estre averti des fruitz et inconveniens qui viennent et procedent de soy baigner, il lise Almasor, Ypocras, Gallien, Serapion et les autres docteurs qui ont bien emplement escript de ceste matere.