📜 Le Régime de Santé par Guy Parat (vers 1459)
Des poyssons.
Apres le traicté des chars, nous parlerons des poyssons. Et disons premierement que les poyssons ne baillent point communement si grant nourrissement, comme fait la char. Et le nourrissement qui en vient, est plus froit et moiste et a en soy plus de superfluitez et moins demeure au corps de la personne que celui qui vient de la char. Touteffoyz, les poyssons aysez a digerer, ja soit ce que aucuns dient qu’ilz sont de dure digestion, mais doit estre entendu quant est a la froidure et moisteur qui est en eulx et non pas au regart de leur substance, car leur substance est de legiere digestion et combien qu’ilz soient froiz et moistez de nature, touteffois ilz ses corrumpent aucuneffoiz en l’estomac et lors, ilz recoyvent une challeur pourrie. Et a ceste occasion, ilz font aucuneffois avoir soif. Et pour brief conclure en ceste matere, char qui est bonne et saine de sa condicion, baille regulierement meilleur nourrissement que posson, de quelque bonté qu’il soit.
Item devons savoir que poisson de mer sont aucunement meilleurs et plus sains que ceulx d’eaue doulce, car le nourrissement qui en vient, n’est pas si fleumatique, ne aiant tant de superfluitez que celui qui vient du posson d’eaue doulce et si est plus prouchain a la nature de char. Mais, pour ce que le poisson de mer sont de plus dure substance que ceulx d’eaue doulce, ilz sont de plus dure digestion et plus nourrissent. Et ainsy je suis d’oppinion qu’ilz nourrissent mieulx et sont meilleurs au regime de santé que les poissons d’eaue doulce.
Et devons noter
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diligeanmant et prendre pour regle generale que, entre tous les poissons de mer et ceulx d’eaue doulce, nous devons choysir toujours les moins visqueux et ceulx qui sont de tendre et subtille substance et non pas grosse et qui ont bonne et souefve oudeur, et non mie ceulx qui sentent fort; ceulx aussy qui se gardent longuement sans infection et non ceulx qui legierement se pourrissent. Item ceulx qui sont de belle couleur et blanche et non pas d’autre mauvaise couleur; ceulx aussy qui pas ne se tiennent es viviers et lacz, ne es lieux ou il y a fange ou autre ordure, ne es eaues ou sont mauvaises herbes. Item l’en doit eslire poyssons qui ne soient trop maigres ne trop jeunes, ne aussy trop grans. Item doyvent ce faire choisir ceulx qui se meurent bien legierement et ce, sont poyssons de mer. Il est bon qu’ilz soient prins en rivieres longtaines de la mer, car ces poissons doyvent estre preferes a tous aultres, mais qu’ilz aient les conditions dessus dictes.
Item devons noter que, supposees les conditions touchees, de tant que les poysons ont plus d’escailles, ilz sont meilleurs et plus sains. Et pareillement doit estre entendu des arestes, car habondance des arestez signifie la purté de la substance du poisson. Mais devons aussy savoir que, entre les poyssons de mer, ceulx qui sont nourris et prins en parfon de mer et qui plus se meut et ou plus de rivieres entrent, sont les meilleurs. Et que, par ce, on conclut que les poissons nourriz en la Mer Morte non sont pas si louables que les autres. Et semblablement, ceulx qui sont en la mer de Septentrion, sont plus sains que ceulx que l’en treuve en la mer de Medy, car la mer de Septentrion est plus meue et plus tempestee et plus legierement va et retourne que les autres mers.
Et pareillement, doit estre
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entendu des poyssons d’eaue doulce. Et par ce que dit est en general, l’en peut asses entendre quelz poyssons sont les meilleurs et lesquelz sont moins louables. Mais, pour avoir congnoyssance particuliere des poyssons d’eaue dolce de quoy l’en use communement, nous devons savoir que, supposees les conditions dessus touchees, l’en doit tousjours choysir ceulx qui se tiennent en eaue parfonde ou il y a beaucoup de pierres et qui court devers orient; et est fort royde et de legier mouvement mouvement [sic]; qui aussy, est nette; et celles ou les ordures des villes ne descendent point; et n’y doit avoir aucuns mauvaises herbes. Ces choses supposees, je dy que le poysson appellé temelus, que aucuns appellent tumbrieaulx et perches et luz, sont, selon mon jugement, au premier degré. Mais le docteur appellé Consiliateur, mect ou premier lieu les poissons qui se treuvent autours des pierres et se nourrissent aux ripvieres pierreuses, comme sont escrevisses, goyons puis temelus et carpes, et apres le lus est la truicte et doree qui a longes arestes. Mais, quant est de la carpe, je ne suis point de son oppinion, car ja soit ce que se soit poysson aiant beaucoup d’escailles[1] et d’arestes, touteffoys elle n’est pas de substance si subtille, si tendre, ne si blanche que le lus, la perche et le temellus. Et tres souvent, on le prent aux estancz. Item, ja soyt ce que l’anguille soit bien plaisant au goust, touteffoiz, au regard des conditions dessus dictes, elle n’aprouche point en bonté es poyssons cy-dessus nommes.
Des lamproyes.
Les petitez lamproyes sont plus louables et meilleurs que les anguilles et ne sont pas si perilleuses, car elles ne sont pas aussy visqueuses ne de tant grosse substance. Et, comme nous avons dit des anguilles entre les poissons
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d’eaue doulce, pareillement doit estre entendu des grans lamproyes, car sauve la reverence de ceulx qui en usent, ces poyssons est moult dangereux, combien qu’il soit bien friant a la bouche, car telz poissons ses engendrent en l’eaue, comme les serpens en la terre. Et pour tant, il est fort a craindre qu’ilz ne soient venimeux. Si, se doit l’en bien garder qu’on n’en mengeue de la teste ne de la queue, car le venim se tient communement en ces parties. Et semblablement, l’areste de dedens ne se doit aucunement aucunement [sic] mangier. Et, qui desire mengier anguilles et lamproyes, il est tres bon qu’on [les] face mettre toutes vives en bon et grant vin et qu’elles y demeurent tant qu’elles soient mortes, puis soient a la gallentine faitte de tres bonnes espices. Je conseille touteffoiz qu’elles soient avant boullies deux bouillons en vin et eaue, et puis soient jettees dehors. Et apres, l’en les doit-on remettre en nouvelle eaue et vin et les mettre cuire parfaittement. Et neantmoins, le plus seur seroit de se abstenir entierement de telles manieres de poyssons, car nous avons veu et ouy que pluseurs qui en mangeuent ont esté en tres grant dangier. Et aucuns en sont mors. Et certes, qui considere les conditions des poyssons qui sont touches, qui sont extraictes des livres des solennelz medecins, il voit clerement que, entre tous les poissons, les anguilles et lamproyes sont les pires et donc, l’en [en] doit moins user. Et pour generale doctrine doctrine [sic], nous disons qu’on doit user de poysson le moins qu’on puet, car, comme dit Avicenne, mangier coustumierement poyssons, fait devenir les gens aveugles.
Item les escrevisses de mer et d’eaue doulce sont asses semblables aux oystres, si non qu’elles sont de plus dure digestion et plus nourrissans que les oystres et ne
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ses courrompent pas si legierement en l’estomac, come font plusieurs poyssons; ont aussy en eulx une viscosité, par laquelle elles laschent le ventre, si on ne les cuit en plusieurs eaues. Et le nourrissement qui en vient est assez bon.
Item je ne parleray icy des poissons, qui, de leur nature, ne sont bons ne louables, comme sont tenches, chabos et suites et ceulx qui n’ont point d’arestez et autres semblables.
Item nous devons savoir que les poissons fres baillent moisteur au corps et, a gens de complexion colerique, ilz multiplient lait et semence. Item l’en ne doit point mangier poyssons apres grant labeur et exercice, car lors, ilz ses corrompent legierement. Ceulx aussy qui ont l’estomac foyble ou plein de mauvais humeurs, se doyvent fort garder de mangier poyssons. Item nous devons noter que poyssons gros et visqueux sont meilleurs quant ilz sont sallez a demy que lors qu’ilz sont tous fraiz. Mais ceulx qui sont sallez de grant temps ne sont pas bons. Au sourplus, l’en se doit garder de mangier en ung repas char et poysson et laictages. Poysson aussy ne se doit mangier apres autres viandes. Item petiz poysson de leur nature sont bons et louables; quant ilz sont petit sallez, ilz renouvellent l’appetit et [le] renforcent. Et mesmement, se l’en a desir de mangier et qu’on n’en prengne pas a trop grant quantité.
Notes
[1] Dans le texte : des cailles.