📜 Le Régime de Santé par Guy Parat (vers 1459)
Des racines.
S’ensuyvent les racines qui, au jour d’uy, sont plus en coustume : pourreaulx, aulx, oignons, radix, penes, naveaulx et rabes. Et quant est aux porreaux, aulx, oignons, nous devons savoir que, pour s’entretenir en bonne senté, gens de chaulde ou attrempee complexion n’en doyvent point user par maniere de viande et mesmement quant ilz sont crus, car ilz engendrent sang agu et poignant et que de legier se alume et enflamme, et si ne nourrissent que pou ou rien. Vray est touteffoiz qu’ilz subtillent les grosses humeurs et rompent les visqueuses et, quant on les cuit, ilz perdent leur vertu poignant; mais ilz retiennent leur vertu subtiliative et leur vertu tranchant et masive. Et pour tant, ilz vallent mieulx cuitz que cruz. Au sourplus, je ne
f° 56v°
feray point mencion des eschalesnes, car ilz savourent la nature des oignons et des pourreaulx; et de eulx et de leur vertu, peut l’en avoir assez congnoisance par ce que dit est des pourreaulx et oignons.
Des pourreaulx.
Les pourreaux sont de nature chaude et seche et baillent mauvaix nourissemens. Et, si on les mangue au soir, ilz font avoir terriblez songes. Ilz engendrent sang bien agu et par ce qu’ilz sont poignans, ilz blecent les nerfz. Item ilz font mal aux dens et engendrent douleur au chief et nuysent aux yeulx. Et pour tant, les coleriques n’en doyvent point user aucunement, et mesmement quant ilz sont cruz. Item, quant ilz sont cuitz soubz les cendrez ou boulliz en deux eaues et qu’on les mangue au myel, ilz servent a ceulx qui n’ont pas aiseement leur alayne. Item ung docteur appellé Le Rous, dit que les pourreaux retrenchent et ostent les cructations sures et amerez et qui sont de dure digestion. Et ce appert par leur saveur et goust qui demeure longuement en la bouche. Ilz nuysent aussy bien fort aux rains et a la vessie, quant il y a alteration et playe comme roignes.
Des aulx.
Il est double maniere de aulx, c’est assavoir : sauvaiges et domestiques. Et les domestiques sont chaulx au tiers degres et declinent vers le quatriesme. Et les sauvaiges sont encores plus chaulx. Et, tant les ungs comme les autres, font mal au chief a ceulx qui en mangeuent coustumierement. Et pour oster la douleur des dens, il est bon laver la bouche de l’eaue ou l’en ait cuict des aux et mesmement si on
f° 57
adjoustoit de l’encens menu, qu’on appelle olibanum. Item les aulx sont contraires aux yeulx. Mais l’eaue ou ilz ont esté cuitz, esclarsit la voix et vault contre la toux emveilly, assouage la douleur de la poittrine qui vient de matere froide et grosse. Ilz sont bons aussy contre les vers. Et Avicenne dit [que], si on les boit avec vin, ce vault contre la pointure des vers venimeux et contre la morsure des serpens et des chiens enrages. Et Gallien dit que aulx est tiriacle des laboureux et qui ne font point avoir soif, comme font les oignons.
Des oignons.
Les oignons ont une vertu ague et coupant, trenchant les humeurs et de tant qu’ilz sont plus longs, sont-ilz plus aguz. Et les rouges sont plus aguz que les blancz; et les secz plus que les moistez; les cruz aussy, plus que les cuitz. Les oignons sont chaulx ou tiers degré, mais il y a en eulx une moisteur subtille aquatique et indigeree. Et, si on les mengeue cuitz, ilz engendrent en l’estomac mauvaises humeurs, qui de leger se pourrissent. Et, si on les mangeue au soir, ilz font venir la nuyt ensuyvant de terribles songes. Et dit Avicenne que oignons nuysent, a la personne qui en use souvent, a son entendement. Et Avenzoar dit en son premier chapitre, que aulx et oignons ont de grande proprieté de troubler la pensee et la vertu cogitative estant au cerveau. Et pour ce, dient aucuns que user trop de oignons amainent la personne a forsenerie et trouble son engin et sa memoire. Item les oignons oeuvrent les bous des veines du fondement, qu’on appelle broques. Et aucuns dient qu’ilz engendrent en l’estomac, humeurs moistez qui rompent le venim qui y est et que, si on les man
f° 57v°
geue cuictz avec l’eaue de bonnes chars et saines, ilz confortent la digestion et attrempent les viandes avec lesquelles ilz sont cuitz. Et le mal qui est en, est par ce moyen amendri. Mais, a mon jugement, il vault mieux que l’en s’en abstiengne et qu’on n’en use point, car telles choses agues ne servent si non a ceulx qui sont plains de grosses humeurs froydes et visqueuses. Et les colleriques s’en doyvent entierement garder et abstenir. Et Avenzoar dit en son premier livre, que choses agues emplissent le chief de fumees et font les gens devenir aveugles, et plus blecent les coleriques et les fleumatiques.
Du radix qu’on appelle rafanus.
Le radix n’est gueres convenable par maniere de viande et mesmement aux coleriques, car, par les parties subtilles qui sont en luy, il engendre sang agu. Il est aussy mauvais a l’estomac et fait vomir eructuations. Et, par les parties terrestres qu’il a, il engendre grosses humeurs et, a ceulx qui ont foyble estomac et n’ont point forte vertu digestive, il engendre humeurs cruez. Item le radix a vertu de subtiller et de partir et coupper les humeurs. Et Avicenne dit qu’il digere les aultres viandes, mais il ne se puet digerer : il a vertu de digerer par ce que en luy sont aucuns vertuz subtilles et chauldes qui eschauffent l’estomac et aident et confortent a la digestion par sa pesanteur. Aussy il fait devaler et descendre la viande au fons de l’estomac et illec, se fait mieulx la digestion. Mais il ne puet estre digeree, c’est
f° 58
a dire qu’il est de tres dure et longue digestion, car il y a en lui aucunes parties terrestres grosses et dures.
Item aucuns soloient demander si l’en doit manger le radix a entree de table ou a yssue. Et a ce, respondent aucuns qu’il se doit mangier a yssue apres les aultres viandes, car, si on le prenoit a entree de table, comme il face venir eructuations, il rebouteroit la viande venant apres et seroit cause de vomir ou, au moins, il subvertiroit et soubzleveroit la viande. Et dient que le radix, prins apres l’autre viande, fait icelle descendre au fons de l’estomac et conforte la digestion et lasche le ventre. Mais Gallien s’emerveille fort de ceste oppinion et dit que tous ceulx qui ont usé en ce de leur conseil, s’en sont trouvez mal disposez. Et pour tant, il me semble que meilleur est mangier le radix par maniere d’entremetz au milieu des autres viandes et ne doit estre prinse au commencement, pour la naguaires touchee, ne aussy en la fin, car, par ce qu’il fait eruptuer, il oeuvre la bouche de l’estomac et debilite la vertu digestive. On le doit doncques prendre au meillieu de son repas, comme dessus a esté dit des grains qui s’appellent legumina.
Et est bon que le radix ne soit point mangié sans vin aigre et sel. Et n’en doit-on prendre en grant quantité, car il nuyst aux yeulx et au chief. Il est bon touteffois contre la morsure des bestes venimeuses et mesmement des escorpions. Et dit Avicenne que, si l’en mectoit une piece de radit sur ung escorpion, il mourroit incontinent. Et par ce apert que radix vault aussy a l’aplicquer par dehors, come dit est : le radix, par dehors et par dedens, est bon.
Pathenaies sont racines rouges, croissans
f° 58v°
aux Ytalies et ait de deux manieres.
Aucunes sont domestiques et sont moult congneues des Ytalians. Autres sont sauvaiges et ont fueilles semblables a l’erbe de fumeterre; leur branche est droicte et sur icelle va ung bouton et est semblable a anis plat. Les domestiques sont de bien subtille substance et ont trois vertuz : leur premiere vertu est eschauffer; la seconde est subtillier; et la tierce est esveiller l’appetit charnel. Et les pathenaies sauvaiges ont vertu mondificative et abstersive et provocquent l’urine et les fleurs aux femmes et toutes les vertuz qui sont es sauvaiges se treuvent aussy es domesticques. Mais, es domesticques, les vertuz sont [plus] foybles que es sauvaiges et les domestiques vallent mieulx que les autres.
Des naveaulx et rabes.
Les naveaulx et rabes, entre toutes les racines dont l’en use, sont les plus convenables a nature humaine pour mangier et en user par maniere de viande. Et ce appert assez par la doulceur et amiableté de leur saveur. Et pour regle generale devons tenir que, en toutes viandes, celles qui sont ameres et poignans, baillent [plus] nourrissement que les doulces. Et pour ce que les rabes et naveaulx sont plus doulx et moins poignans que les autres racines dont l’en mengue, tant sont-ilz plus sains a en user que les autres. Touteffoiz, ilz engendrent grosses humeurs et grans ventosites et sont de dure digestion en ceulx qui ont foible vertu digestive. Ilz engendrent humeurs bien crues. Neantmoins, ilz ont merveilleuse proprieté a conforter la veue, mesmement si on les cuit en purant la premiere eaue et si on les mangeue avec espices
f° 59
aromatiques, comme sont gingembre et cynamome. Et ce dit ung docteur appellé Serapion. Item l’en ne doit autrement mangier les rabes et naveaulx cruz. Et les naveaulx sont meilleurs et plus louables que les rabes et incitent et aguillonnent a oeuvre charnelle, amolissent aussy le ventre et mondiffient et nettoyent les voyes de l’urine.
Des racines que l’en appelle fungi et aucuns les nomment champegnoules.
Pour ce que fungi et truffes sont en grant coustume aux Ytaliens, nous en dirons aucune chose. Et deves savoir que fungi sont une maniere de racines qui croissent aux pres de la racine d’un chesne. Et les enfans l’appellent icy pain de crapault. Et les aucuns sont bons a mangier. Et en use l’en par maniere de viande apres qu’ilz sont bouilliz ou fritz et se doyvent mangier aux espices. Et sont de bon goust et playsant. Et l’en appelle ou fungi ou champegnoulz des champs et des pres, pour ce qu’ilz croissent es pres ou en terre saine et non corrumpue et ou bestes venimeuses ne conversent point. Mais les fungiz, qui viennent au pres des cavernes et fossez des bestes venimeuses ou es lieux pourriz ou selon les arbres et herbes venimeuses, sont venimeux et bailleroient la mort a ceulx qui en useroient. Il est aussy aucuns qui, de toute leur espece, sont mortellement venimeux et de tous telz, se doit l’en garder soigneusement. Et entre ceulx qui point ne sont venimeux, les secz vallent mieulx que les vers. Et est bon qu’ilz soient premier bouilliz en
f° 59v°
eaue avec poires, aulx et poulieul royal. Et apres, on les doyt faire a huille d’olive doulx et jecter dessus de la pouldre d’aucunes espices, comme de gingembre blanc, de cynamoine et de poivre. Et par ce, leur malice sera corrigee, car ilz sont moult frois et moystez et engendrent humeurs froides et moistes. Et leur substance se pourrit ligierement et engendrent humeurs qui de legier se pourrissent. Et pour tant, ilz nourrissent mal et sont de dure digestion. Et, qui en use souvent, il enchiet en la passion colerique, qui est une douleur de boyaulx. Ilz estaignent aussy et suffoquent aucuneffoiz la personne ou lui font saillir le cuer ou lui font venir sueur froide, rendent aussy la personne angoisseuse. Et, quant ces inconveniens adviennent, l’en s’en puet garir par prendre d’un sirop appellé eximel, qui se fait de miel ou de vin aigre, et doit estre prins avec l’eaue ou l’en ait bouilly ysoppe et poullieul. Item les champeneaulx sont bien contraires a l’estomac. Et pour tant, l’en doit boire apres ce qu’on a mangié, bon vin et grant. Touteffois, en user continuellement est moult a blasmer.
Des trufes.
Trufes sont racines en terre sans pied et sans fueilles, et sont rondes comme une poire et on couleur rouge ou brune. Leur saveur n’est pas bien bonne et a peine n’ont rien de goust. Et ce qui y est, tire et decline a aucune doulceur. Et je croy qu’elles baillent nourrissement gros, froit et moiste. Toutesvoies, les humeurs qui s’en engendrent ne sont pas fort mauvaises. Et se pevent mangier cuictes et cruez. Et sont de nature bien terrestre. Et pour tant, si on les mangue apres
f° 60
autre viande, elles aident a faire descendre au fons de l’estomac. Et aucuns anciens medecins dient qu’elles engendrent humeurs melencoliques et qu’il est bon qu’on les bouille en eaue apres qu’elles seront pellees. Et puis, on les doit bien destremper et confire avec huille doulce et la pouldre d’aucunes espices, comme dit a esté des champegneulx. Et apres est convenable boire bon et grant vin. Touteffoiz, les Lombars les cuisent soubz les cendres. Mais nous devons savoir que c’est tres grant peril d’en user souvent, car elles amainent et induisent a paralisie, apoplexie, passion colerique et maladie du coul, qui aucunefois estrangle les gens. Item elles sont de dure digestion et chargent l’estomac et approuchent fort a la nature des champaigneulx. Mais elles ne sont pas si mauvaises que les champeigneulx. Item il est bon bouillir les truffes qui se treuvent en terre sablouneuse et areneuse, qui est franche et nette et n’est gueres aquatique.
Les truffes se engendrent au parfond de la terre et viennent de pourriture et putrefaction. Et pour tant, l’en voit aucuneffois partir fummee de la terre ou ses truffes se engendrent. Et fumme aucuneffoiz tant fort la terre que la neige qui y est, s’en font. Et par ce appert qu’elles ont une challeur qui de legier se pourrist. Et comme dient les philosophes, putrefaction ne fait jamais qu’il n’y ait aucune challeur accidentelle sourvenant. Et de ce veullent aucuns dire qu’elles sont de chaulde complexion et qu’elles engendrent humeurs chauldes et que, par ce, elles engendrent et aguillonnent a oeuvre charnelle. Touteffois, ce ne me semble mie vray. Et aussy, il n’est pas consonnant a la doctrine de Avicenne et des autres
f° 60v°
saiges.