📜 Le Régime de Santé par Guy Parat (vers 1459)
Le second chapitre traicte de la viande et bruvaige.
Combien que apres la consideration de l’air, l’en deveroit raisonnablement traicter de excercice et du bain, car excercice doit naturellement preceder le mangier. Touteffoiz, je ayme mieulx garder l’ordre. Mais en la rubriche et au rouge de cestuy tiers traicté est assavoir que, apres la consideration de l’air, sera traicté du mangier et boire, mais avant que je descende a parler en particulier, je mectray premierement aucuns beaux enseignemens moult neccessaires a la conservation et garde de la santé.
Le premier enseignement est que une personne saine et haitee ne doit mangier avant qu’il se sente avoir vraye et naturelle fain, car la nature des membres ne reçoyt ne ne prent ce que point ne desire, mais le reffuse. Et pour tant, la viande prinse sans appetit naturel, charge l’estomac et a lui et aux aultres membres est comme ung petit fardeau, et plus tot se corrumpt que ne se convertisse en la substance des personnes, car, comme les membres n’ont plaiser en ceste viande ains la reffusent, ilz ne se efforcent point de la convertir en eulx-mesmes ou, se ilz la convertissent, c’est fort enuis et bien lache-
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-ment. Ainsy appert, par ce que dit est, que gens sains et haitiez en quelque temps que ce soyt, ne puent avoir heure convenable de mangier, soyt a disner ou a soupper, fors quant ilz sentent avoir appetit et que nature desire mangier. Et par ce, je conclus que la coustume comune, que aucuns ont de soupper assez tost apres disner, est tres desconvenable pour gens haitiez et est venu de fol et legier jugement. L’en doyt donques prendre son repas lors que nature le desire et appete et ne doit gueres attendre de mangier apres ce que l’en se sent avoir fain, si non que les constitucions et ordonnances, et l’eglise et devocion particuliere, ou quelque occupation honneste, veullent que l’en endure sa fain.
Item l’en doit moderement mangier tellement que l’estomac ne soit trop chargé de viande et qu’il ne tende par desmesuree replexion. Et comment mangier avant la fain et desir de nature, nuyst moult, aussy fait grant mal mangier oultre mesure. Et pour eschiver cestuy exces, l’en se doit garder de deux choses :
Premier de mascher mal et imparfaictement, car, par ce, est faicte grant injure a nature, comme point ne luy soit rendu ce qui luy est deu de sa premiere institucion, car nature ordonne les dens pour rompre et amenuyser parfaictement la viande, avant qu’elle soit envoyee au lieu ou se doit faire sa digestion. Et, actendu que la viande est dure de sa condicion, il est cler que celuy, de fraude et d’injurie la nature de son corps, qui y met la viande sans la froissier et parfaictement rompre des dens, car l’estomac, ne les autres membres de dedans le corps, n’ont povoir ne vertu de froisser la viande, s’il fault qu’ilz soient blecez d’icelle viande mal froyssee, comme ilz ne puissent
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supplier la faulte de cestuy froissement. Et sont lesd. membres en double maniere grevez et bleces de la viande mal maschee : premier, quant l’en masche imparfaictement sa viande, on en prent plus qu’on n’en deveroit par la grant haste et desordonnee desir qu’on a de transgloutir la viande; secondement, la viande ainsy prinse, ne se puet parfaictement digerer. Et par ce, l’en enchiet en plusieurs passions melencoliques. Et par ce, les gourmans parviennent tres pou souvent a naturelle et deue villesse.
La seconde chose, dont l’en se doit garder a son repas, est diversité de mes. Et mesmement quant ilz sont bons et diligatifz, car, par ce, l’en mengue plus que besoing ne seroit, comme l’appetit soit plus tost las et assouvy en mengeant d’une viande que de plusieurs et diverses, car la friandise et doulceur des saveurs provocque la personne a plus en prendre que l’estomac ne puisse digerer. Et, en ceste diversité de mes, puet avoir autre dangier, car, quant les mes que l’une est de legiere digestion et l’autre de dure, il fault que le deu nourrissement des membres en soit empesché, car, comme l’un soit plus tost digeré que l’autre, il n’est neccessaire que celui qui n’est point digeré, soit meslé et coulé avec celui qui est digeré ou, s’il actent que l’autre soit parfaictement digeré, il sera corrumpu, comme si l’on ausoit ponans avec char de boeuf. Quant aussy l’en mengue de plusieurs et divers mes, la digestion en est empeschee en deux manieres : premier, car, par ce, l’en est contraint de moult souvent boire et souvent boire empesche fort la digestion, comme souvent getter eaue froyde en ung pot qui est au feu, l’empesche de bouillir; secondement, par ceste multitude d’eaues, il y a grant delay entre le premier
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et le derrenir, par quoy la digestion en commencee du premier est empeschee de la venue des aultres qu’ilz surviennent touz cruz. Et tous ces dangiers sont eschevez par prendre d’un bon mes tant seulement ou de deux tant seulement, mais que l’un tost soit prins apres l’aultre, et qu’ilz ne soient fort differens en digestion.
Et pour tant, ceulx qui ont accoustume de non soy charger de viande et de user de pou de mes, parviennent a longue et bonne veillesse, et est leur veillesse necte et plaisant. Mais ceulx qui veullent user de pluseurs et divers mes et qui se chargent et emprisonnent de habundance et multitude de viande, ilz se treuvent estains avant leur viellesse ou ilz deviennent tost vieulx et leur viellesse est orde et desplaisant. Au sourplus, nous devons entendre qu’on ne doit pas seulement avoir regard a l’eure de mangier, et a la quantité et habundance de viande, mais aussy, on doit considerer la quantité et nature des viandes. C’est assavoir que l’en prengne et use de viandes convenablez a la complexion de la personne, se[lon] la exigence et qualité du temps, et que on se garde de toutes viandes contraires et desconvenables a sa nature.