Table des matières
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Présentation
Besançon, cité impériale
Du XIIIe au XVIIe siècle, Besançon est une cité libre, d’abord impériale puis, à partir de 1664, royale, dépendante du royaume d’Espagne. L’originalité de cette période, de l’érection en Commune en 1290 à l’annexion définitive par le roi de France en 1676, réside dans l’élection annuelle, le 24 juin, des représentants des citoyens au sein de deux collèges, celui des gouverneurs (au nombre de quatorze), d’une part, et celui des notables (au nombre de vingt-huit), d’autre part.
Située au cœur du comté de Bourgogne auquel elle n’appartient pas, siège d’un archevêché dont le titulaire est prince d’Empire, la cité de Besançon est placée sous la tutelle directe de l’empereur. Un traité dit de gardienneté la lie, par de réguliers renouvellements, au comte de Bourgogne.
La cité de Besançon se compose de sept quartiers (ou bannières) dont le rôle est fondamental dans les élections et la levée des impôts, d’une proche banlieue comprenant notamment les villages de Velotte, Saint-Ferjeux et Valentin. Elle possède également deux importantes forêts: à l’Est, la forêt de Chailluz; au Sud, le bois d’Aglans. Toutefois, à l’intérieur même de l’enceinte urbaine, d’importantes enclaves ecclésiastiques échappent à l’autorité directe des élus: le quartier capitulaire et épiscopal sur les pentes Nord du Mont Saint-Étienne; le quartier Saint-Paul à l’Est, autour d’une puissante abbaye.
Les débuts de l’administration
Au sommet de la hiérarchie administrative sont les gouverneurs, qui cumulent en outre les pouvoirs exécutif, législatif, plénipotentiaire et judiciaire — ce dernier partagé avec d’autres autorités. Dans cette tâche, ils sont secondés par un personnage aux larges attributions: le secrétaire. Celui-ci, qui est toujours un notaire, est le greffier des actes officiels sur lesquels il appose son propre sceau aux côtés de celui de la cité; il peut assurer des missions diplomatiques; il accomplit les fonctions de relais entre les gouverneurs et les officiers subalternes: sergents ou forestiers, agents exécutoires des décisions prises par les conseils de la cité.
La « charte des franchises » octroyée aux Bisontins le 3 juin 1290 prévoit une autonomie financière.
Paragraphe 6 : «Lesdits citoyens forment et formeront communauté ou collectivité avec coffre commun, procureur, agent ou syndic, sceau de collectivité, étendards ou bannières [...]. Et ils pourront de leur plein gré établir et lever entre eux, sans intervention de juge ni de justice, prises, coutumes et tailles, et disposer de finances communes pour traiter leurs affaires, selon qu’il leur semblera le plus utile et expédient».
Paragraphe 12 : «De même, tous les habitants de la cité, qui jouissent des libertés et biens communs de la cité, participent et doivent participer comme les autres aux impositions qu’établiront à l’avenir, pour la collectivité, les citoyens désignés à cet effet».
Paragraphe 16 : «De même, nous donnons et concédons auxdites collectivités et citoyens le pouvoir de faire eux-mêmes et de s’approprier dans la cité fours et moulins, dont les revenus seront utilisés pour les besoins de la collectivité et des citoyens, à titre de faveur spéciale, pour alléger les charges de la collectivité et des citoyens».
Tiré de: De l’autonomie des villes. Besançon (1290-1990).- Actes du colloque.- Besançon: A.L.U.B.: Cêtre, 1992.- P. 89-91.
En cette fin du XIVe siècle, les documents d’archives mentionnent un autre officier aux fonctions précises: le receveur général. Il ne fait pas de doute qu’il existait auparavant, mais la carence des sources ne nous permet pas de définir la période de la mise en place de cet office. Dès 1290 et jusqu’en 1304[i], certaines personnes sont chargées de prélever des contributions sur l’ensemble des quartiers: Aimé de Choye et Jean Bonvalot, assistés déjà de receveurs des différentes bannières. Mais ces prélèvements ne semblent que temporaires et liés uniquement à des événements ponctuels.
Or, ce qui est manifeste dans les années 1380, c’est la permanence d’un personnage qui assure la perception des recettes et qui est également le médiateur obligé pour l’exécution des dépenses de la cité: Viénot de Roche. À partir de celui-ci, quarante et un trésoriers se succéderont sans discontinuité sur près de trois siècles.
Viénot de Roche
En raison des lacunes déjà mentionnées, Viénot de Roche n’est connu que par des documents postérieurs à 1381. Il est mentionné receveur général de 1381 à 1387, date de sa dernière transaction et à laquelle lui succède Jean Navarret. Il aurait donc exercé pendant au moins 71 mois, ce qui le place dans les durées médianes d’exercice des trésoriers de Besançon. Dans le même temps, il est à plusieurs reprises élu gouverneur: au Bourg en 1383, 1384, 1385, 1386, 1387, 1388, 1398 et 1399; à Chamars en 1400[ii]. Après 1387 et jusqu’en 1400, il participe d’ailleurs activement au gouvernement de la cité, comme l’attestent les nombreuses mentions de missions dans les comptes municipaux[iii].
Habitant le quartier du Bourg, où il possède une maison[iv], il verse chaque année un cens à la cité pour « ung curty que il tient entre deux murs de Batans, de costé le curty Bartholomet d’Auxon d’une part, et le curty que fut Mathiat Le Buef, que tient lidit Vienat »[v]. Selon le rôle d’imposition de 1386, il occupe une place de choix dans la haute bourgeoisie bisontine: son niveau de contribution le place au 13e rang des plus fortunés (sur 1380 feux), avec 21 engrognes (moyenne de l’ensemble: 1,5 engrogne).
Marié à Guillermette Bourgeois[vi], il teste en 1400 après avoir fondé, au couvent des Frères Mineurs de Besançon, une chapelle en l’honneur de saint Antoine de Padoue[vii].
La fonction de receveur général
Viénot de Roche a incontestablement tenu des registres de comptes, vraisemblablement annuels. Aucun d’eux ne nous est cependant parvenu. Au XVIe siècle déjà, le rapport[viii] sur des amendes prononcées et perçues par les comptes municipaux au sujet de la forêt de Chailluz ne souffle mot de l’un de ses comptes. Seuls des éléments ont été conservés: il s’agit pour la plupart d’entre eux de documents de travail destinés par la suite à être recopiés sur un registre, lui-même délivré en plusieurs exemplaires.
Viénot de Roche est receveur général[ix]: il est donc chargé de la perception, sur l’ensemble du territoire de la cité, des impôts, taxes, cens, loyers et droits divers que celle-ci est en droit de réclamer. Il supervise notamment les prélèvements hebdomadaires effectués dans chaque quartier, sous la direction d’un receveur de bannière. Il perçoit également les amendes infligées par la justice des gouverneurs. Parfois, le paiement n’est pas direct du débiteur au receveur: une tierce personne, généralement associée ou membre du pouvoir exécutif (secrétaire, clerc de la cité, gouverneur, notable), perçoit la somme et la transmet alors « par la main » au receveur.
Collecteur de l’argent public, il est également l’intermédiaire obligé pour les dépenses décidées par le gouvernement. Ce dernier lui transmet alors un ordre de paiement. Ce document, appelé cédule, se présente sous la forme d’une lettre vocative ordonnant au receveur de prendre sur les deniers du trésor une certaine somme et de la remettre à un ou plusieurs bénéficiaire(s) dûment mentionné(s) avec en général le motif de ce débours, signée par le secrétaire et par un ou plusieurs élu(s). Un registre de ces cédules[x] est tenu par le secrétaire, les originaux étant conservés par le receveur: ils serviront de preuves lors du contrôle des comptes, que suit un arrêt officiel.
Les conditions de nomination de ce receveur sont inconnues; celles de son renvoi ou de sa démission également. En revanche, nous savons que le cadre temporel de la tenue de ses comptes est peu ou prou celui de l’année (environ 52 semaines). Ainsi l’arrêt de l’un de ses comptes, le 11 mars 1384, prouve qu’il occupe la période du 28 novembre 1382 au 19 décembre 1383 (soit 55 semaines). Ce dernier permet également de comprendre la structure du compte et le bilan annuel de la gestion du trésor municipal.
Les recettes sont réparties en deux principaux chapitres: celui des ressources perçues sur les extraveigants[xi] et celui des recettes provenant des contributions prélevées sur les sept quartiers. Les dépenses sont globalement nommées, auxquelles il faut ajouter des sommes non précisées mais issues sans doute d’arriérés de paiements. En réalité ces chiffres comportent de nombreuses erreurs[xii]. Ils indiquent cependant un état légèrement déficitaire (2,5 % des recettes): la cité est, selon ses calculs, redevable au receveur, qui a avancé les sommes nécessaires, de 61 florins 6 gros et 4 engrognes. L’essentiel des revenus de la cité résulte de la contribution des habitants (82 %).
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Florins |
Gros |
Engrognes |
1 |
Extraveigant |
463 |
3 |
2 |
2 |
Impôt |
2020 |
7 |
3 |
3 |
Recettes (1+2) |
2464 |
10,5 |
0 |
4 |
Dépenses 1 |
184 |
10 |
1 |
5 |
Dépenses 2 |
2331 |
6 |
7 |
6 |
Dépenses (4+5), calculées |
2515 |
16 |
8 |
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SOLDE (6-3) |
61 |
6 |
4 |
Présentation des éléments de comptes
La disposition des différents documents que nous présentons est différente de celle du document original[xiii]. Les recettes sont regroupées ainsi que les dépenses, selon le modèle du premier registre de comptes connu de Jean Navarret[xiv], avec, entre les deux parties, l’insertion d’un arrêt de compte. Cette construction ne reflète donc qu’une structure et n’est pas un véritable compte. La plus ancienne recette remonte au 7 mars 1384, la plus ancienne dépense au 12 août 1381. Les dépenses sont pour la plupart étroitement liées à la conclusion d’un marché passé entre les gouverneurs et un particulier.
Dans ces comptes fragmentaires, nous retrouvons les rubriques citées ci-dessus, plus détaillées toutefois. Ainsi, montrent-ils des amendes, des taxes et des contributions ‘volontaires’ aux côtés d’un rôle d’imposition et de recettes issues des extraveigants. Les dépenses sont orientées pour la quasi totalité en direction de frais de fortification.
Le premier document transcrit est un rôle d’imposition qui fait état de 1380 feux. Le texte disposé sur deux colonnes occupe seize pages du registre (fol. 197-204 v°). Il est écrit par une seule personne, peut-être le secrétaire, Perrin de Vaux.
Le deuxième document est beaucoup plus complexe. Plusieurs auteurs sont intervenus dans sa rédaction. Les informations se succèdent par ordre chronologique, par petits paragraphes. C’est très probablement le secrétaire qui a inscrit l’intitulé principal de la recette. Puis, lui-même et/ou le receveur général ont apporté des modifications: article barré pour signifier le paiement effectif; ajout d’une ou de plusieurs mentions spécifiant la date du règlement; autres remarques ayant trait aux conditions de l’acquittement ou du non-acquittement des sommes indiquées. Ces recettes commencent le 7 mars 1384 après la clôture du compte mentionné par l’arrêt du 11 mars 1384. Plusieurs types de recettes cohabitent sans classement: loyers, amendes, don gratuit, amodiations, prêts, taxes diverses.
Le troisième document est l’un des arrêts de compte du recevariat de Viénot de Roche, précisément celui de l’an 1383.
Le quatrième document regroupe les frais relatifs aux fortifications réalisées à Rivotte par Gérard Urtebise; le cinquième, ceux concernant les travaux de fortifications sur le Mont Saint-Étienne par Jean de Montjustin et Thomas Du Change; le sixième, ceux se rapportant aux ouvrages sur le front de Jussa-Moutier par Jean Pralot.
Enfin, le septième et dernier document indique sommairement les dépenses effectuées par la cité lors de la réception de Guillaume d’Aigrefeuille (1339-1401) légat du pape / "anti-pape" Clément VII (1342-1394).
Notes sur la présentation
[i] Impositions commencée le 12 mars 1290, levées en novembre 1291, en décembre 1298 et en avril 1304. Archives municipales de Besançon: BB2, fol. 5-14, 52-67, 72-82 et 85-93.
[ii] Archives municipales de Besançon: BB2, fol. 4, 4 v°, 5, 6, 6 v°.
[iii] Archives municipales de Besançon: CC1, CC2, CC3.
[iv] Robert (U.).- Testaments de l’Officialité de Besançon.- Tome 1, p. 522.
[v] Archives municipales de Besançon: BB2, fol. 170 v° (ca. 1400).
[vi] Robert (U.).- Testaments de l’Officialité de Besançon.- Tome 1, p. 80, p. 582 (note 2).
[vii] Robert (U.).- Testaments de l’Officialité de Besançon.- Tome 2, p. 159.
[viii] Archives municipales de Besançon: DD1051 (début du XVIe siècle). Ce rapport n’est cependant pas fiable, car il ne prétend pas être exhaustif. Par ailleurs, une mention affirme l’existence d’un «compte de Jehan Naverret de l’an mil IIIC IIIIXX [1380]». Aurait-il été receveur général avant Viénot de Roche, puis à nouveau après lui ? Cela est peut-être une erreur du rapporteur. En effet, ce dernier se trompe manifestement en attribuant le premier compte de Gérard Monstellier pour l’an 1479, vieux style (au lieu de 1476); le second compte de Guillaume d’Orchamps pour l’an 1459, vieux style (au lieu de 1480); le deuxième compte de Jean d’Auxon pour l’an 1520, vieux style (au lieu de 1522), etc.
[ix] Le terme de trésorier ne lui est jamais décerné; il ne figurera d’ailleurs dans la dénomination de cet office qu’à partir de Jean Bonvalot (receveur général et trésorier entre 1397 et 1410).
[x] Ce document est attesté lors de la relation « du traitier fait par les genz Mons. de Bourgogne a ceulx de Besancon sur le fait de la guarde de la citey de Besancon et des habitans en ycelle ». C’est en ces termes que s’exprime le secrétaire: « Et est vray que toutes les missions [= dépenses] faites tant en Besancon come deffuer par ledit Mons. le baillif [du comté de Bourgogne] en poursuigvant ceste besoigne — a moins pour la plux grant partie — ceulx de Besancon hont pahiez. La some de toutes lesquelles missions faites pour l’acomplissement de ladicte besoigne, se vous voulez savoir, vous trouverez ou registre des cedules ». Archives municipales de Besançon: BB2, fol. 146 v° (1386, 16 mars.- 22 mai).
[xi] Personnes ne disposant pas du privilège d’être citoyen bisontin.
[xii] La somme des recettes recalculées est, en additionnant les 2 chapitres, de 298085 engrognes, soit 2484 florins et 5 engrognes (au lieu des 2464 florins et 10,5 gros annoncés, soit un écart de près de 19 florins). Le solde entre la somme des recettes recalculées et celle des dépenses calculées est de 3915 engrognes, soit 32 florins 6 gros 3 engrognes (au lieu des 61 florins 6 gros et 4 engrognes annoncés, soit un écart de près de 30 florins). Ce qui ramène le déficit à 1,3 % des recettes.
[xiii] Archives municipales de Besançon: BB2 (1381.- 1514). Ce registre in-folio de 297 feuillets comprend de nombreuses pages vierges: 323 sur 594 pages (plus de la moitié). Dans la partie écrite, plus du tiers comporte des documents comptables.
[xiv] Archives municipales de Besançon: CC1 (1388, 24 juin.- 1389, 24 juin).